1740-02-03, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher Ami.
Je vous aurois répondu plustôt si la situation fâcheuse dans la quelle je me trouve me l'avoit permis; malgré le peu de tems que j'ai à moi, j'ai pourtant trouvé le moyen d'achevér L'ouvrage sur Machiavel dont vous avéz les Comensements. Je vous envoye par cet ordinaire La Lie de mon travail, en vous priant de me faire part de la Critique que Vous en feréz. Je suis résolu de revoir et de corigér sans amour propre tout ce que vous jugeréz indigne d'être présenté au public: Je parle trop librement de tout les grands princes pour permetre que L'antiMachiavel paroisse sous mon Nom. Ainsi j'ai résolu de le faire Imprimér après l'avoir Corigé, come L'ouvrage d'un Anonime; faites donc main basse sur toutes les injures que Vous trouveréz superflues, et ne me passéz point de fautes Contre la pureté de la Langue.

J'atens avec impatience La Tragédie De Mahomet achevée et retouchée. Je L'ai vue en son Crépuscule, que ne sera t'elle point en son midi? Vous revoilà donc à Votre phisique, et la Marquise à ses procès, en vérité mon chér Voltaire Vous êtes déplacéz tout les deux; nous avons Mille phisisiens en Europe, mais nous n'avons point de poète et ocun historien qui Vous aproche, et l'on Voit en Normandie cent Marquises plaidér mais aucune qui s'aplique à la Philosophie. Retournéz je Vous prie à Votre Histoire de Louis 14, et faites Venir de Cirey vos Manuscripts et Vos livres pour que rien ne vous arête; Valori dit qu'on Vous a Exilé de France come perturbateur de La Religion Catolique, et j'ai dit qu'il en avoit menti. Je voudrais que le Vieux Machiavéliste Relié dans la pourpre Romaine vous assignât Berlin pour le lieu de Votre exil.

Mes désirs sont pour Remusberg come les Vôtre pour Cirey, je languis d'i retournér saluér mes pénates. Le pauvre Cesarion est toujours Malade, il ne sauroit Vous répondre.

Presque trois mois de maladie
Valent un siècle de tourmens.
Par les maux son âme engourdie
Ne voit, ne conoit plus, que la douleur des sens.
Les Charmans acords de ta lire,
Mélodieux, forts et touchans,
Ont sur ses esprits plus d'empire
Qu'Hipocrate, Galien, et leurs médicamens.
Mais quelque Dieu qui nous inspire
Tout en est vain sans la santé;
Lorsque le Corps soufre Martire
L'esprit ne peut non plus écrire
Que L'aigle peut Volér privé de liberté.

Consoléz moi mon cher Voltaire par Vos charmans ouvrages. Vous m'acuseréz d'en être insasiable, mais je suis dans le cas de ces persones qui pour avoir beaucoup d'acide dans L'estomac, on besoin d'une Nouriture plus fréquente que les autres.

Je suis bien aise qu'Algarotti ne perde point Le souvenir de Remusberg. Les personnes d'esprit n'ÿ seront jamais oublyées, et je ne Désespère pas de vous y voir. Nous Venons de Voir ici un petit ours en pompons, c'est une princesse Rusiene qui ne tient de l'humanité que l'ajustement. Elle est la fille du Pr: Cantimir.

Rendéz s'il Vous plait ma lettre à la Marquise, et soyéz persuadé que l'estime que j'ai pour Vous ne finira jamais.

Federic