1739-11-06, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher ami, J'ai été autans mortifié de L'état Infirme de Votre Santé, que j'ai été réjoui par la satisfaction que Vous me témoignéz de Ma préface; j'en abandonne le stille, et le tour à la Critique de tout les Zoilles de L'univers; mais je me persuade en même tems qu'elle se soutiendra, puisqu'elle ne Contient que des Véritéz et que tout home qui pense sera obligé d'en Convenir.

Cette Réfutation de Machiavel à la quelle Vous Vous interesséz est achevée, je commence aprésent à la reprendre par le premier chapitre pour corigér et pour rendre si je le puis Cet ouvrage digne de passér jusqu'à la postérité. Pour ne Vous point faire atendre je Vous envoye quelques morseaux de ce Marbre brutte qui ne sont pas encore polis. J'ai envoyé il y a huit jours L'avans propos à la Marquise; Vous reseveréz tout les chapitres corigéz et dans leur ordre dès qu'ils seront achevéz. Quoi que je ne prêterai pas mon nom à cet ouvrage je Voudrois cependant que si le public en soupsonas L'auteur qu'il ne pût point me faire du tord. Je Vous prie par cete considération de me faire L'amitié de me dire Naturellement ce qu'il y faut corigér, vous sentéz vous même que Votre indulgence en ce cas me seroit préjudiciable et funeste.

Je m'étois ouvers à quelqun du Desein que j'avois de réfutér Machiavel, ce quelqu'un m'assura que c'étoit penne perdue puisque l'on trouvoit dans les Notes politiques d'Amelot de la Housai sur Tacite une réfutation complète du Prince politique. J'ai donc lû Amlot et ces Notes mais je n'y ai point trouvé ce qu'on m'avoit dit, ce sont quelques Maximes de ce politique Dangereux et Détestable qu'on réfute, mais ce n'est pas l'ouvrage en corps.

Où la Matière me L'a permisse j'ai mêlé L'enjoument au sérieux, et quelques petites Digressions dans les chapitres qui ne présentoit rien de fort intéresant au lecteur, ainsi que les raisonemens qui n'auroient pas manquéz d'enujér par leur sécheresse sont suivis de quelque chose d'historique, ou de quelques remarques Caustiques pour réveillér le goût du lecteur. Je me suis tu sur toute les choses où la providance m'a fermée la bouche, et je n'ai point permis à ma plume de trahir les intérêts de mon repos.

Je sai une infinité d'anecdotes sur les cours de l'Europe qui auroient à coup sûr Divertis mês lecteurs, mais j'aurois composé une satire d'autans plus ofansante qu'elle ut étée Vrai, et c'est ce que je ne ferai jamais. Je ne suis point né pour Chagrinér les princes, je Voudrois plustôt les rendres sages et heureux; Vous trouveréz donc dans ce paquet 5 chapitres de Machiavel, Le Plan de Remusberg que je Vous dois depuis longtems, et quelque poudres qui sont admirables pour Vos coliques. Je m'en sers moi même, et elles me font un bien infini, il les faut prendre le soir en se couchant avec de L'eaux pure.

Adieu cher Ami toujours Malade et toujours persécuté, je Vous quite pour reprendre Mon Ouvrage, et noircir le Caractère infâme et scélérat de L'avocat du Prince, de la même plume, qui fit L'éloge de L'incomparable Auteur de La Henriade, mais elle confondra plus facillement le corupteur du genre humain, qu'elle n'a pu louér Le présepteur de l'humanité. C'est une chose fâcheuse pour L'éloquence que lors qu'elle à des grandes Choses à Dire qu'elle est toujours inférieure à son sujet.

Mes amitiézà la Marquisse, mes Complimens à vos amis qui doivent être les miens puisqu'ils sont dignes d'être les Vôtres.

Je suis avec toute l'amitié et la tendresse Posible Mon cher Voltere Votre très fidelle ami

Federic

Conservéz Vos jours je Vous les recomande, ils me sont trop présieux qu'en ami Vous deviéz négligér le soin de leur salut.