1744-04-07, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Du faite de Votre Empirée
Voltaire Vous m'éblouiséz,
Le Soleil de mon Ethérée
Se met humblement à Vos pieds.
Sa pâle lueur obscursie
D'un gros Nuage de bon sens
Atant qu'à son tour la folie
Lui rende ses reyons brillans.
Soufréz que Mon fauset grotesque
N'aille point étourdir Paris
Et laiséz ma lire tudesque
Inconue à Vos beaux Esprits.
Je Crois Voir un saulteur agile
Qui rafinant pour relevér
Ses tours que l'on Vient d'admirér
Sur les Tréteaux fait Montér Gile,
Gile qui pense L'imitér;
C'est donc ains Monsieur Virgile
Que Vous prétendéz me jouér?
Mais fripon ton Démon M'agite
Lors même que je m'en Défens,
Que je m'esquive et que j'évite
De me livrér à tes Talens:
C'est ainsi qu'on provoque encore
Par des Tons aux siens acordans
La Douce Voix du lut sonore
Qui répond aux derniers acsens.

Enfin Malgré que j'en aye Voilà des Vers que Votre Apollon m'arache, encore s'il m'inspiroit: Votre Merope m'a été rendûe, ai j'ai fait Le Comisionaire de L'Auteur en Distribuant son Livre. Je ne m'étone point du succez de Cette piesse. Les Corections que Vous y avéz faites la rendent par raport à la sagesse De la Conduite, à la Vrai semblence, et à L'interêt, supérieure à toute Vos Autres pièces de Téâtre, quoi que Mahomet aje plus de force, et Brutus de plus beaux Vers. Ma soeur Ulerique Voit Acomplie Votre rêve en partie en ce qu'un Roy La Demande pour Epouse. Les voeux de Toute la Nation suedoise sont pour Elle. C'est un entousiasme et Un fanatisme au quel ma tendre amitié pour elle a été obligé de Cédér. Elle va dans un païs où ses Talens lui feront jouér un grand et beau Rôle.

Dites s'il Vous plait à Rohtenbourg si Vous le Voyéz que ce n'est pas bien à lui de ne me point écrire depuis qu'il est à Paris. Je n'entends non plus parler de lui que s'il était à Pequin. Votre air de Paris est comme la fontaine de Jouvence et vos voluptés comme les charmes de Caplipso, hormis que j'espère que Rohtenbourg échappera à la métamorphose. Adieu adorable historien, grand poète, charmant auteur de cette pucelle invisible et triste prisonnière de Cirei; adieu à l'amant de la cuisinière de Valori, de madame du Châtelet et de ma sœur. Je me recommande sous la protection de tous vos talents et surtout de votre goût pour l'étude dont j'attends mes plus doux et plus agréables amusements.

Federic

On démeuble la maison que l'on avait commencé à meubler pour vous à Berlin.