à Paris ce 24 janvier 1739
Madame,
Vous sçavés que c'est à un Magistrat connu par sa vertu & son merite à qui j'ay L'obligation de connaitre Monsieur de Voltaire dont il est L'amy.
J'ay souhaité pendant Long temps illustrer mon Commerce des Ouvrages d'un homme que je ne connaissois encore que par les Talens de son Esprit & qui depuis m'a si fort attaché à luy par les qualités de son cœur: ma jeunesse, ma bonne volonté, ma sincérité, Titres qui valent toujours auprès de luy ont achevés ce que la recommandation avoit commencée: depuis ce temps sa confiance m'a rendu l'instrument de tant d'action de générosité qu'autant par justice pour luy que par reconnoissance pour celles dont je me suis particulièrement ressenti je me crois obligé d'en rendre partout un témoignange authentique & de répondre à l'injuste accusation du libelle intitulé la Voltairomanie que tous les honnestes gens ne voyent qu'avec indignation. Voicy l'histoire des ouvrages de Mr de Voltaire depuis que je le connois & je suis en Etat de la prouver par des pièces justificatives.
J'ay commencé par imprimer la Henriade avec des corrections considérables & monsieur de Voltaire en me la donnant en abandonna le profit à un jeune homme que ses talents luy ont attachés & à qui il a encore fait présent depuis de sa tragéd. de la mort de Cesar; il permit dans le mesme temps à un autre Libraire de réimprimer Zaire dont le privilege étoit expiré; il m'a donné à moy ses tragédies d'Œdipe, Herode & Marianne, & celle de Brutus; j'ay imprimé L'Enfant prodigue & celuy qui fut chargé d'en faire le marché m'en demanda un prix si honneste que bien loin de contester avec luy je luy donnay cent livres au dessus du prix qu'il m'en avoit demandé. Quelques jours après mr de Voltaire m'écrivit qu'il n'exigeroit jamais d'argent pour le prix de ses pièces ny pour aucun autre de ses ouvrages, mais seulement des livres; Enfin il a fait présent de ses Elémens de Neuton à ses Libraires de Hollande. Peu de temps après on en a fait une Seconde Edition sous le titre de Lond[r]es & je sçais que le Libraire qui L'avoit fait à L'insçeu de Mr de Voltaire cru cependant avant de le faire paroistre luy devoir l'attention de la luy communiquer & de soumettre à ses corrections l'Edition en état de paroitre. Mr de Voltaire en a acheté cent Cinquante Exemplaires pour faire des présens à Paris qu'il a payés & qui luy reviennent avec la relieure à près de cent pistolles. Voilà Madame ce que les ouvrages de Mr de Voltaire luy ont produit, voilà plutost de quoy confondre le calomniateur & vous voyés quelle foy on peut ajouter aux impostures dont son ouvrage est tissu.
J'ay L'honneur d'estre avec le plus profond respect
Madame
Votre très humble & très obéissant serviteur
Prault fils