1738-03-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Mon cher amy allez vous faire foutre avec vos excuses et votre chagrin sur la petite inadvertence en question.
Tous mes secrets assurément sont à vous comme mon cœur. Je dois à votre seigneur royal trois ou quatre réponses. Un bon gros paquet paiera tout. Vous voyez que notre prince éguaie sa solitude par des vers et de La prose. La seule entreprise de faire des vers français me parait un prodige dans un Alleman qui n'a jamais vu la France. Il a raison de faire des vers français, car combien de Français font des vers allemans? Mais je vous assure que si le seul projet d'être poète m'étonne dans un prince, sa filosofie me surprend bien davantage. C'est un terrible métaphisicien, et un penseur bien intrépide. Mon cher Tiriot voylà notre homme, conservez La bienveillance de cette âme là et m'en croyez. J'ay vu la piromanie. Cela n'est pas sans esprit, ny sans baux vers, mais ce n'est un ouvrage estimable en aucun sens. Il ne doit son succez passager qu'a le Franc et à moy. On m'a envoyé aussi Lisimacus. J'ay lu la première page et vite au feu. J'ay lu ce poème sur L'amour propre, et j'ay baillé. Ah qu'il pleut de mauvais vers! Envoyez moy donc ces épitres qu'on m'attribue. Quesceque c'est donc que cette drogue sur le bonheur? N'esce point quelque misérable qui babille sur la félicité, comme les Gressets, et d'autres pauvres diables qui suent sang et eau dans leurs greniers pour chanter la volupté et la paresse? Comment va le procez d'Orphee Ramau et de Zoile Castel? Ce monstre d'abbé Desfontaines continue t'il de donner ses malsemaines? Mais ce qui m'intéresse le plus viendrez vous nous voir? Savez vous ce que Quenel Aroüet a donner à mon aimable nièce? Dites moy donc cela, car je veux luy disputer son droit d'ainesse. Mes compliments à ceux qui m'aiment, de l'oubli aux autres. Vale, je vous aime de tout mon cœur.

V.

Ma santé est encor déplorable. Madame du Chastelet a mal à la poitrine. Donnez moy des nouvelles de votre santé.