à Cirey le 31e 10bre [1736]
Je vois effectiuement Monsieur que n͞s ne différons pas trop de sentiment et que n͞s n͞s raprocherons aisément.
Ie conuiens qu'il y a quelques changemens philosophiques à faire dans l’épitre sur Newton, et ie les ay conseillés à votre ami. V͞s saués qu'il ne plaint pas sa peine et loin de trouuer la délicatesse de votre critique incomode il ne se plaint que de votre paresse sur les détails. L'ode sur la superstition et l'ode sur la paix ne sont point des morceaux finis, mais ils méritent de l’être. Si i’étois capable de les auoir fait ie v͞s le confierois assurément, et vous aués dû voir par vne confidence que v͞s a fait votre ami à son voyage de Paris, combien ie comte sur votre discrétion, et sur votre indulgence. Mais ie ne disposeray jamais d'un dépôt sans sa permission, ainsi ie l'attendray, mais j'epère que ce sera toujours par moi que vous receurez ces pièces, et ie compte que v͞s ne m'en aurez pas moins d'obligation p͞r les receuoir vn peu plus tard.
Ie me suis bien attenduë aux comentaires sur le voyage de mr de V. et ie v͞s remercie de me les mander. Ie suis fâchée que l'on le soupçonne d’éuiter un orage, c'est signe qu'il pouroit encore rester quelque leuain. Il étoit bien loin de le soupçonner quand il est parti. P͞r les desseins qu'on lui supose il prouuera par sa sagesse qu'il en est incapable. Si l'on est juste on doit être content de sa conduite depuis les lettres philosophiques, car ie ne puis me résoudre à prendre le mondain sérieusement, même p͞r la critique.
I'auray le portrait du p. royal, mr Chambrier l'a remis, i'en ornerai la chambre de votre ami icy.
Ie v͞s félicite d’être en correspondance auec cet aimable prince, que cela ne v͞s fasse pas mespriser ceux à qui l'on dispute leur principauté! Il attendra ie crois mr de Voltaire longtems et ie v͞s prie même de l'y préparer. Il n'est pas possible par le tems qu'il fait, par les chemins d'Allemagne, et auec la santé qu'il a, d'aller promtement. Ie lui ay bien recomandé de séjourner en chemin pour peu que sa santé le demandât, et que le froid augmentât. I'ay bien peur même qu'il ne soit malade car il y a quinze jours que ie n'ay eü de ses nouuelles. Le prince royal l'aime trop pour vouloir qu'il risquât sa santé, et c'est lui auoir prouué assés d'empressement que de s’être mis en chemin par le tems qu'il fait. Ie v͞s prie de lui mander cela, et que i'ay retiré son portrait en l'absence de mr de Voltaire. Il sait très bien qui ie suis, et je suis bien aise de lui donner cette marque de mon respect, ayant lieu d’être très contente de la façon dont il pense et parle sur mon compte.
Ie suis charmée que dom Prouost parle du portrait. Ie v͞s prie de m'enuoyer la feüille qui en fera mention. V͞s ne pouués trop répandre les bontés de ce prince p͞r votre ami, son voyage ne peut Etonner que ceux qui les ignoreroient et le ministère ne peut qu'aplaudir à cette marque de respect qu'il donne à ce prince.
Si l'on jouë la tragédie dont v͞s me parlés, on sera bientôt reuenu du soupçon qu'on a, car ie ne connois persone en Etat de le faire durer. Il y en auoit vne sur le métier sans le voyage de Prusse, mais peutêtre n'i nuira t'il pas, car on ne peut faire que cela dans vne chaise de poste.
Ie suis bien aise qu'on reprenne l'enfant, ie ne crois plus l'incognito nécessaire, on peut du moins se laisser pénétrer, si on ne veut pas se déboutoner absolument. V͞s deués être sûr Monsieur que ie trouue vos lettres trop courtes mais que ie n'en exige pas de plus longues. Ie sais combien le tems est rare. Comtés sur mon amitié.