Si v͞s auiez vû les dernières lettres du prince royal v͞s auriés conseillé v͞s même à votre ami d'y aller.
Il ne pouuoit s'en dispenser sans ingratitude. V͞s croyés bien que i'ay eü plus de peine à m'i résoudre que v͞s, puisque ie le possédois, et que ie l'ay perdu p͞r vn tems, mais il faut aimer ses amis p͞r eux, et i'espère qu'il fera là vn voyage très agréable et qui ne sera pas long.
J'escris par cette poste à Mr Chambrier p͞r auoir le portrait du prince. Ie v͞s aurois Enuoyé ma lettre p͞r la lui donner mais i'ay été obligée de la lui faire remettre par la personne à qui i'auois Enuoyé les 200lt et i'ay prié qu'on les lui remit. Ie v͞s prie de le disposer à me le rendre. V͞s auriés bien put prendre sur v͞s de faire donner les 200lt par mr votre frère, et ne pas laisser traisner ce portrait à la poste. V͞s sauez que mr de Voltaire n'a pas coutume de v͞s dédire, et v͞s le conoissés ou v͞s deués le conoitre assés pour sauoir qu'il n'i a rien qu'il n'eût donné p͞r le retirer et qu'il n'i regarde pas de si prés quand il s'agit d'argent. Ainsi permetés moi de v͞s gronder car ie suis en colère d'auoir affaire à mr Chambrier p͞r cela, et que lui et les gens de la poste ayent pu accuser m͞r de Voltaire de peu d'empressem͞t, du d'enuie de faire parler à mr Dosambray p͞r vn gratis dont il ne se soucie guères. Ie v͞s auouë que depuis que ie lis les lettres du p. royal i'en fais vn cas infini, non come prince, mais come home, et puis qu'il faut qu'il y ait des princes, sans qu'on sache trop pourquoy, il faudroit du moins qu'ils fussent tous faits come lui.
Votre lettre à m͞e de Fauerolles a été reçuë. V͞s estes vn peu Etourdi car si v͞s auiés fait quelqu'attention à ma lettre v͞s auriés vu que ie l'auois reçuë puisque ie v͞s parlais du portrait du p. royal, et qu'il n'i auoit que votre lettre à m͞e de Fauerolles qui pût m'auoir appris qu'il l'auoit enuoyé à mr de V. Quoiqu'il en soit elle étoit du 1er et elle n'a été reçuë que le 12 et en voicy la raison. Mr de Voltaire Enuoya auant de partir chercher ses lettres à Bar sur Aube mais il oublia de parler de m͞e de Fauerolles. Ie m'en resouuins après son départ, et i'y enuoyai le 12. Alors on me raporta votre lettre dattée du 1er. Voilà l'histoire; ainsi mr de Voltaire ne v͞s a point répondu parce qu'il n'auoit pas reçu votre lettre. Ie la lui ay Enuoyée et il ne l'a peutêtre pas encore àprésent. Voilà v͞s rendre détail p͞r détail, mais celui là doit v͞s tranqui-lizer sur votre lettre. V͞s ne m'auez point marqué si v͞s engageriés Mr Prouost à parler du présent du p. royal. Ie v͞s prie d'y faire votre possible. I'ay toujours pensé que mr de Voltaire deuoit à ce prince de ne point rendre ses lettres publiques et ie v͞s prie de ne v͞s point relâcher sur cela, non plus que sur son Epitre. C'est vn dépôt que l'amitié v͞s a confié, et à v͞s seul, ce seroit vn sacrilège de le violer, et ie sais que v͞s en estes incapable. Sans cela v͞s ne les auriés pas, l'ode sur la paix, l'ode sur la superstition sont des choses à garder et à ne point montrer à présent. Mais p͞r en reuenir au prince royal, autant i'ay cru conuenable de ne point publier ses lettres, autant ie crois qu'il l'est de se vanter de la faueur de son portrait. Ie désire que l'on en soit instruit, et ie crois que cela ne peut que faire vn bon effet. J'ay prié mr Dargental de faire vn présent tel qu'il le jugeroit àpropos de la part de mr de Voltaire à ml͞le Gossein. A cela ne tienne, pouruû que n͞s soyons repris. Ie suis persuadés que cet orphelin aura 35 représentations au moins et alors il aura bien mérité de retrouuer son père. Ie crois que dans la circonstance présente de son absence il faut que mr de V. le fasse imprimer sous son nom. Sans son voyage v͞s auriés peutêtre eü vne tragédie cet hiver, mais ce sera p͞r le prochain sans faute. Ie suis d'accord auec v͞s sur l'Emiliade, il n'i a rien de si flatteur p͞r moi et cela ne l'est que trop, mais v͞s sentés bien que sur vne tragédie on ne pouuoit pas dire les mêmes choses que sur la philosophie de Neuton. De plus il y a trop de vers dans vne tragédie p͞r en mettre encore à la tête. Enfin ie v͞s auouë que ie suis très contente d'auoir l'un et l'autre, et que ie me remercie tous les jours de la fermeté que i'eus dans le tems de L'épitre. Sans elle on trouueroit l'épitre sur Neuton bien ridicule dans les endroits où il est parlé de moi. Aureste iecrois que ce sont les plus beaux vers qu'il ait jamais faits et c'est beacoup dire et les idées les plus grandes qu'on ait encore mis en vers. Il y en a de latins de mr Halley à la tête des principia matematica qui sont très beaux, il y en a d'anglois de Tompson qui sont admirables, mais ie crois que mr de Voltaire aura la pomme, et puis que l'on plaigne la stérilité de notre langue! C'est le sort de Neuton, on n'a jamais fait de mauuais vers sur luy, il semble qu'il ait Eleué le génie de tous ceux qui en ont parlé. A l'égard du mondain ce ne peut être le même stile que la Neutonade. Ie trouve celui dont il est escrit très noble et très aisé, et en mettant apart les hérésies qui y sont, c'est vne petite pièce charmante à mon gré, pleine de peinture, de goût, et de mollesse. Ie n'aime pas les critiques vagues, donnés v͞s la peine de me marquer les négligences qui le rendent si indigne d'être soutenu par les gens de goût, cela formera le mien. L'ode sur l'ingratitude me paroit l'ouurage d'un honête home que des coquins ont forcé à les punir, c'est la deffense des honnêtes gens contre les ingrats. Ne trouuez v͞s pas cette strophe admirable, ͞ns admirons le fier courage&c.? Enfin n'est elle pas belle et juste? P͞r la crepinade elle est cruellem͞t bonne. Ie n'en dis rien, sinon que Rousseau la mérite.
Mais ie m'aperçois que ie suis bien bauarde. Adieu monsieur, soyés sûr que votre comerce m'est fort agréable. Ie comte que v͞s ne me laisserés rien ignorer de ce que le public dira sur le vojage de votre ami.
à Cirei le 21e 10bre [1736]