[July 1749] à 8 h. 1/2
mettés vn pain à la lettre du prince
Mon dieu que tout ce qui étoit chés moi quand v͞s êtes parti m'impatientoit, que mon coeur auoit de choses à v͞s dire! V͞s m'aués traitée bien cruellem͞t, v͞s ne m'aués pas regardée vne seule fois.
Ie sais bien que ie dois encore v͞s en remercier, que c'est décence, discrétion, mais ie n'en ai pas moins senti la priuation. Ie suis acoutumée à lire à tous les instans de ma vie dans vos yeux charmans que v͞s êtés ocupé de moi, que v͞s m'aimés, ie les cherche par tout, et asurément ie ne trouue rien qui leur resemble, les miens n'ont plus rien à regarder.
Cette maison de m͞e [? de L.] va me paraitre telle qu'elle est, ie n'i ai jamais été qu'auec vous, ie la trouuois même aimable, ie vais les voir ce soir tels qu'ils sont. Ie viens de ma petite maison auec Z. Le bleu en est charmant, àprésent on l'a esclairci, ie crois qu'on pourra y habiter à la fin de la semaine prochaine. I'ay été et ie suis reuenue à pied. I'ay fait auec vne espèce de délices le même chemin que n͞s auons fait hier ensemble, ie v͞s promets de ne guères manger. Ie suis d'une impatience extrême de sauoir si v͞s monterés la garde demain. Si v͞s ne la montés pas v͞s aurés été à Aroué, si v͞s la montés vous n'irés que dimanche. Voilà vne lettre p͞r le prince, v͞s la raporterés si v͞s aués été à Aroué quand elle ariuera. Songés que si v͞s montés la garde demain ie puis v͞s reuoir lundi en reuenant d'Aroué, songés qu'un jour est tout p͞r moi, et ie n'ai pas besoin p͞r le sentir de mes craintes ridicules, car ie les condamne, mais vn jour passé auec v͞s vaut mieux qu'une éternité sans vous. Ie v͞s aime auec démence, ie le sens tous les jours dauantage, c'est vn si grand plaisir p͞r moi de passer auec v͞s tous mes momens que ie ne puis perdre vn si grand bonheur sans désespoir. Ie ferai mon posible p͞r n'auoir pas d'humeur ce soir, mais coment feraije p͞r qu'on ne s'aperçoiue pas de l'inquiétude et du malaise de mon âme, car c'est le mot qui peut rendre mon état? Il y a l'infini entre la manière dont ie v͞s idolâtre et celle dont ie v͞s aimois quand ie suis partie p͞r Paris. Il me seroit bien imposible àprésent de m'imposer vne telle priuation, ne jugés point de moi parceque i'ay été, ie ne voulois pas v͞s aimer à cet excès, mais àprésent que ie v͞s conois dauantage, ie sens que ie ne puis jamais v͞s aimer assés. Si v͞s ne m'aimés pas moins, si mes torts, car ie ne me pardonerai jamais d'auoir perdu cinq mois loin de vous, n'ont pas afaibli cet amour charmant que ie n'aurois pas osé espérer, qui fait le bonheur de ma vie, et sans lequel ie ne pourois viure, ie suis bien sûre qu'il n'existe pers one d'aussi heureuse que moi, mais ie v͞s auoue que ie le crains, ie v͞s auouë que depuis mon retour ie n'ai pas cessé de le craindre. Il me semble que l'anée pasée v͞s ne m'auriés point quittée, même p͞r trois jours si gaiem͞t, si indiférem͞t, sans m'auoir dit, du moins des yeux, que v͞s partiés auec chagrin. Rasurés moi, mon coeur en a besoin, la moindre diminution dans vos sentimens me déchireroit de remors, ie croirois toujours que ça été ma faute, que sans Paris, v͞s auriés été toujours le même. Cette idée me tourmente, ôtés la moi si v͞s m'aimés, songés que mon amour, que les chagrins que v͞s m'aués faits en voulant me quitter et par la crainte de ces grenadiers m'ont asés punie, que ie v͞s aime auec une ardeur bien faitte p͞r v͞s rendre heureux si v͞s pouués m'aimer encore come v͞s m'aués aimé. Ce n'est qu'en v͞s comparant à v͞s même que ie puis me plaindre, non ie ne le puis pas, v͞s m'aués trop montré d'amour ces 2 derniers jours cy, non votre coeur charmant est trop juste et trop tendre p͞r ne pas répondre au mien qui v͞s idolâtre.
Ie n'ai rien trouué de mieux à v͞s enuoier que la casette où v͞s renfermerés mes lettres. Raportés les ie v͞s le demande à genoux, bonheur de ma vie.