1744-01-09, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Je m'attendois Monsieur que v͞s m'aporteriés votre réponse v͞s même.
Ie suis très fâchée que v͞s veniés si tard cette année dans la bonne ville, car ie crois que i'en partirai de bone heure auec votre ami p͞r Cirey. Ie lui ai montré votre lettre, ie crois que v͞s n'en doutés pas. Il v͞s fait mille amitiés et il m'a dit qu'il v͞s escriroit, mais ie v͞s exhorte à venir receuoir sa lettre v͞s même. C'est le vrai moien de rétablir votre santé. M. de Voltaire a fait vn voiage qui n'a été qu'une fête continuelle. Le roi de Prusse lui a fait jouer exprés p͞r lui, l'opéra de Titus dans vne salle admirable mais la plus belle de toutes le[s] fêtes a été celle de son retour. Il est reuenu cousu de boetes, de portraits et de présens, et il me semble qu'il est content de la façon dont on l'a reçu ici et qu'il a lieu de l'être. Quand au sujet de son voiage, s'il en a eü un, ie crois qu'il ne doit pas être public. N͞s auons asisté hier à la chute de Montezume, qui est du dernier mauuais à vne harangue prés que Cortés fait à ses soldats et qui est asés belle. Cela n͞s donera Merope. N͞s auons de quoi n͞s consoler.

Ne pouuant pas v͞s escrire des vers de ma façon ie crois bien v͞s en dédomager en v͞s enuoiant le portrait de m͞e de la Valière que mr de Voltaire a fait à souper sans auoir l'air d'y songer.

V͞s m'aués promis si obligeam͞t vos bons ofices auprès de mr l'intendant de Rouen que ie vais v͞s importuner pour faire diminuer le dixième de mes teres qui par vne négligence de Celui qui a fait la déclaration a été porté plus haut qu'il ne le doit être dans la rigueur la plus exacte. Ie v͞s serai bien obligée de m'obtenir cette petite grâce et d'être bien sûr que la reconoisance n'ajoutera rien à mes sentim͞s p͞r v͞s.