Vos Critiques, Monsieur, sont aussy justes, que vos comparaisons sont singulières. J'auouë que je ne puis reuenir de l'étonnement où m'a mis celles que v͞s faites de dom Prouost, et de son apologie. Ie ne crois pas que m͞r de Voltaire le prenne jamais p͞r le modèle de ses moëurs, ni de son stile. C'est à lui à en seruir aux autres. Ie ne sais si l'apologie de l'auteur de Cleueland a eü tout le succés que v͞s en attendiés, et ie crois que c'est vn fait dont peu de gens sont instruits. Elle n'a pas été Contredite, parce qu'elle n'a pas été jugée, mais ie sais bien que l'auteur de la Henriade, se doit à lui même, à ses amis, à la verité, et au public, le témoignage qu'il se rend aujourd'huy, et il n'i a que la douceur inaltérable de son caractère et la répugnance qu'il a toujours euë à parler de lui, qui puisse le lui auoir tant fait différer. Dom Prouost peut s'il veut craindre de dire qu'il est honnête homme, mais m͞r de V. le doit dire, et doit justifier tous les honnêtes gens attaqués en lui. Il est vray qu'il faut parler avec modestie de ses talens, et ie crois que personne n'a jamais poussé cette vertu plus loin que m͞r de Voltaire. Il en est tout autrement de l'honneur et des moëurs. On peut, et on doit les justifier hardiment. Ie conuiens qu'il résulte des faits auancés dans cet ouurage qu'il est le plus honnête home du monde, et parfait, de cette perfection qui fait que l'on n'a rien à se reprocher. Sur la probité ce n'est point des louanges qu'il se donne. Que l'on tire les conclusions. Mais de sa conduite, et de ses moëurs, à l'égard des fautes que sa jeunesse lui a fait faire, et que v͞s voulés qu'il auouë, v͞s auriés dû me les marquer, car p͞r moi ie ne les connois pas, et il y a dix ans, il y en a quinze, qu'il auroit pu dire p͞r sa justification tout ce qu'il dit aujourd'huy à la comparaison d'Alvares près, et ie crois qu'auparauant il començoit à viure, il auoit eü enuie de v͞s adresser le discours come à celui qui depuis près de vingt ans a été l'objet et le témoin des vertus de son coëur, et i'aprouuois fort ce projet, qui d'ailleurs est vne marque publique de son estime, et de son amitié p͞r v͞s. Mais quelque forme qu'il lui donne, je suis bien contraire à l'idée de laisser ce soin là à vn autre, et ie lui ay bien redit le vers que v͞s lui aués cité.
V͞s seuls pouués parler dignement de vous même. Ie crois que v͞s luy êtes trop attaché p͞r ne lui pas conseiller d'employer p͞r sa deffense, la plus éloquente plume de son siècle. Ie doute que dom Prouost, ni aucun autre esgalât l'éloquence masle, vive, hardie, sage, respectable, et vraie qui règne dans cet ouurage. Il fut fait en vne heure de tems, et ie ne crois pas qu'il y ait rien à y ajouter. Ie suis de votre auis sur l'endroit de Pascal, et ie conuiens qu'il ne faut point qu'il s'auouë publiquem͞t l'auteur des réponses. P͞r ce qui regarde Rousseau, il peut élaguer cet endroit et sur tout retrancher les citations. On n'a pas besoin de citer p͞r prouuer que les ouurages tudesques de Rousseau ne valent rien, il sufit de les nomer, mais ie ne crois point qu'il doiue entièrement retrancher ce qui le regarde. La naissance de leur inimitié est vne des choses dont il doit compte au public. Il ne doit point rougir d'auoir p͞r ennemi vn homme condamné come calomniateur, et dont les couplets, tout infâmes qu'ils sont, ne sont pas le plus grand crime. A l'égard du pardon des injures ce n'est pas s'en esloigner que de repousser la calomnie, et de plus il n'a point voulu faire la confession de foy d'un capucin, mais celle d'un homme vertueux affligé de se voir accusé d'atéisme, sentiment que v͞s saués être bien esloigné des siens.
Ie ne suis point étonnée que v͞s n'ayés pas trouué l'épitre qu'il m'adresse escritte du même stile que le discours dont ie viens de v͞s parler. Le sujet n'est assurément pas si beau et ne fournit pas tant, et de plus ie ne crois pas que ce doiue être le même stile. V͞s auriés bien dû n͞s citer vn ou deux de ces endroits qui ressemblent tant à m͞e Delembert. Votre lettre n͞s a fait lire sa métaphisique que n͞s n'auions jamais luë, ni l'un, ni l'autre. Ce petit ouurage m'a paru vn assemblage de mots uide de sens, et assurément il m'a fait conclure que si toutes les femmes escrivoient come cela on feroit très bien de leur deffendre d'écrire. N͞s n'i auons trouué aucune ressemblance que la comparaison de Molière. Il a même retouché cet endroit. Sa santé est vn peu meilleure, et ie lui laisse le soin de v͞s parler lui même de ces changemens, et des raisons qui n͞s déterminent à la prose. Ie suis bien loin de la trouuer trop longue. Ie ne veux point que ce soit vne simple formule de compliment, ie veus qu'il m'i parle de lui, de moi, et de sa pièce. Ce que ie v͞s demande en grâce c'est que personne ne la voie, et ne sache l'honneur qu'il veut me faire.
Ce que v͞s dites des Sciopius et des Cottins n͞s a déterminé à la laisser p͞r que le public dise la même chose. L'ironie a pris sous votre plume la place de la modestie. Il me semble que c'étoit le mot propre et qu'il n'auoit que faire d'épitète. La Henriade comparée à vn insecte est dans le même cas. Philosophiquem͞t parlant il a raison [. . .] en effet que la plus grande durée des ouurages des hommes par raport à l'immensité des tems et dans l'autre sens. Il a encore raison, il ne peut parler trop modestement; ie trouve que L'on doit auoir autant de modestie que de mérite, et c'est assurément dans cette proportion qu'il est modeste, surtout en parlant de Crebillon. Ce n'est pas aux rois à auoir de la hauteur, car qui leur dispute du respect? V͞s dites que l'on voudroit plus de soumission. Ie ne sais pas quel vsage il faut faire de ce mot dans vn ouurage de cette nature, [. . .], n͞s conuenons de la nécessité qu[. . .] si son copiste alloit aussy v[ite . . .] corige et tout partiro[ns . . .] et, épitre, et apologie, m[. . .] l'attention que v͞s aués eü de [. . .] Prouost lui sera inutile, l[. . .] ie crois qu'il poura s'en pa[sser . . .] il a été extrêmement fâché de l'article des tableaux et ie trouue qu'il a raison. V͞s l'aués accoutumé à v͞s voir receuoir auec plus de sensibilité les marques de son amitié, et ce refus lui fait craindre que la vôtre p͞r lui ne soit diminuée ou que votre goût p͞r la peinture ne soit passé. Ie viens de lire les vers de la Fontaine à m͞e de Montespan. J'aime mieux la prose de mon épitre. Ie suis come mlle de Clermont à qui m͞e la p͞sse demandoit si elle se croyait [ . . . Wi]llcox qui entroit dans le [. . .] telle, i'aime mieux moy, [ . . . V]illars ni leur [. . .] de [. . .]nois point, et il les a [. . .] les enuoyer car i'aime à [. . .] siècles fugitiues, p͞r ceux [. . .] la plus grande diférence [. . .]s qui ie respons aux détails. [Il n'i a que de] longues lettres qui puissent raprocher cinquante lieuës. Ie suis charmée que m͞r Duchastellet v͞s voie quelque fois, et je v͞s prie d'être persuadée que vos attentions p͞r lui et p͞r moi trouuent en moy bien de la reconnoissance, personne n'étant plus entièrement Monsieur votre très humble et très obéissante seruante.
Breteuil du Chastelet
à Cirey le 1er mars [1736]