à Cirey ce 28 [December 1736]
Enfin votre lettre vient de me rendre la vie.
V͞s ne pouuez pas imaginer, ou plutost v͞s imaginés bien la désolation et le désespoir que celle de cet imprudent Berger n͞s a causé. N͞s auons été prêts à prendre les partis les plus extrêmes. Si quelque chose n͞s rassuroit c'étoit votre silence, mais Berger n͞s parloit de v͞s, et tout ce qu'il n͞s mandoit n͞s paroissoit si positif que n͞s auons été prêts de n͞s quitter p͞r toujours. Ie voudrois bien que Mr de V. ne reçût de lettres que de v͞s, et ie v͞s jure que je ne trembleray plus que v͞s ne m'ayez mandé de trembler. Il n'i a que v͞s dont l'amitié soit également sage et vive. Les lettres de Berger Etoient hors de mesure sur tous les points. Ie v͞s diray entre n͞s qu'il est bien mal à mr H. de se porter à ces extrêmités et qu'il est bien dur qu'il puisse s'y porter. Ie m'en plains à v͞s, mais ie tiens un langage bien contraire quand ie parle à votre amy. Si v͞s sauiés les combats que j'essuye, v͞s me plaindriez bien véritablement. Croyés que si votre amy suivoit nos conseils, ils s'épargneroit bien des chagrins. Il ne tient qu'à luy d'être heureux, et il ne le veut pas être. L'abé des Fontaines et Rousseau me paroissent des ennemis bien méprisables. Il me semble qu'il ne deuroit point leur répondre par la raison qu'on ne se bat point contre son laquais. Les moeurs doivent encore mettre plus de distance entre les hommes que la naissance. Il me paroit de plus qu'il est assés vangé et qu'il peut laisser faire le reste à la haine et au mépris public, ce sont de furieux lieutenans de police. Il est bien simple qu'il ait été sensible à l'horreur de voir dans des Fontaines à qui il a sauué l'honneur et la vie, son plus cruel ennemy, mais la plus grande vangeance que l'on puisse prendre des gens qui n͞s haïssent, c'est d'être heureux. Ie ne cesse de le lui dire, et ie suis honteuse du peu que je gagne. Une chose qui me désole encore, c'est le prodigieux comerce des lettres qu'il entretient avec des gens qui ne désirent ses lettres que p͞r les aller lire dans les caffés. Ie sais que quand on a reçu vne lettre de lui on n'a rien de plus pressé que de la lire à tous ceux qui veulent l'entendre, et il est bien dificile d'escrire toujours des choses faites p͞r le public. Ie v͞s demande en grâce de lui mander en général, qu'il escrit trop et que ses lettres lui font tort. Il y a toujours à perdre à se prodiguer, et de toutes les façons de se prodiguer, celle des lettres est la plus dangereuse. Verba volant, scripta manent.Il y gagnera de toutes façons car cela lui prend la moitié de sa vie. Son tems est si prétieux et il l'employe si bien que cette seule raison deuroit l'en dégoûter. Ie ne sais si n͞s pouuons n͞s flatter que cet orage cy est entièrem͞t passé. N͞s n͞s en raporterons à vos lettres, mais si, come Berger et mlle Quinault le mandent, on le rend responsable de l'impression du mondain, et qu'en cas qu'il soit imprimé, le ministre veüille le traiter auec rigueur, ie ne vois nulle sûreté p͞r lui de rester en France, car des Fontaines, du Moulins, ou le premier venu, p͞r gagner deux loüis, ou p͞r les perdre, le feront imprimer. C'est sur tout de cette condition nécessaire à notre tranquilité que ie v͞s prie de v͞s informer, v͞s en sentés bien la conséquence. V͞s aurés reçu vne lettre de moy où la douleur seule parloit, elle étoit trop forte alors p͞r que la raison pût se faire entendre. I'espère que v͞s m'aurés traité come vn malade, aux discours duquel on ne fait nulle attention quand il a le transport. Ainsi ie comte que les 500lt de mr Herault son payés. Votre ami en est consentant. J'attens vne lettre de v͞s p͞r qu'il lui escriue. Ie ne suis pas sûre d'y réüssir, car il est bien outré, mais du moins ie me flatte d'y faire tout ce que ie pouray, après auoir pris (sur les instances de Berger) la résolution de se dérober à la tempête il auoit cru convenable de faire courir le bruit qu'il alloit voir le prince royal de Prusse. Il l'a fait mettre dans la gazette de Hollande, et il l'a escrit à Tiriot, à vn mr de Mouhi, à mlle Quinault et à mil autres. Cette démarche étoit assez sensée quand il comtoit quitter la France car cela empêchoit que son départ eût l'air du mécontentement, mais enfin puisque n͞s somes assés heureux p͞r qu'il ne s'en aille point, i'ay peur que cela ne soit pris en mauuaise part dans les circonstances présentes. Il faut dans ce bienheureux pays ci mettre de la politiques dans les choses les plus simples, car quoy de plus simple que d'aller voir vn prince qui l'en prie si instament et qui le traite avec tant de distinction? Il y seroit même allé sans moy. Il m'a promis que p͞r empêcher l'effet que cela pouroit faire, il escriroit à mr le cardinal et à mr le garde des sceaux qu'il ne comptoit rien faire sans leur permission, mais ie ne sais si ie pouray le luy faire Exécuter. De plus on réïmprime ses ouurages en Hollande, et cela, il ne le peut empêcher. I'ay peur que l'on n'i mette des choses qu'on trouuera mauuaises: A v͞s dire le vray ie pousse la prudence jusqu'au scrupule, et cependant, malgré mes scrupules, ie ne me suis jamais oposée à ce qu'il envoyât le mondain. Ie n'ay, ie v͞s l'auoüe, jamais pu imaginer que cela pût être pris au tragique. Enfin cela m'aprendra à viure. On dit que ce sont les dévotes de la cour qui ont aigri mr le Cardinal. Ie connois pourtant maintes de ces déuotes à qui il ne sied pas de parler contre luy. P͞r ce que Berger me mande, qu'on trouue dans les vers sur Neuton l'apostrophe aux chérubins, impie, à cela, ie n'ay rien à répondre. A l'égard de la pomme on n'a fait autre métier que la mettre en chanson. Mais, altri tempi altre cure. Ie ne sais si le ministère aprouue son comerce avec le prince royal. I'auois écrit au bailly de Froulay p͞r qu'il préuint sur cela m͞r le garde des scaux mais ce bailly est au Maine. Mr de V. a enuoyé à ce prince, vne Epitre en vers qui lui est adressée, vne lettre sur Locke et vne ode contre la superstition que v͞s auez peutêtre vuë et qui feroit canoniser un autre, mais de lui on ne trouuera jamais rien de sage. Ie crains que le p. de Prusse ne donne tout cela. Tiriot dit qu'il est son agent. V͞s deuriés bien lui dire de suplier très respectueusement le