Le 8 8b 1734
Il est vray que Me la duchesse de Richelieu a voulu absolumt me laisser un projet pour Voltaire, elle a mis par là mon respect et ma déférence pour elle à la plus grande épreuve.
Tout ce que j'ay de plus intimes amis m'avoient aporté ce mesme projet, et je n'avois pas voulu m'en charger. Je le fis par respect. J'eus l'honr de luy dire en mesme tems que je ne pouvois en faire aucun usage. Je luy promis cepdt d'avoir l'honr de vous voir le Dimanche à une h. Je m'y rendis, on me dit que vous ne deviés avoir eu l'usage du [. . .] que pour le te deum. Vous scûtes aisém͞t la raison qui ne permettoit pas de m'expliquer sur ce sujet; il y a icy 2 objets, la lettre de cachet, et l'Arrest.
A l'égard de la lettre de cachet elle est apparnt fondée sur une notoriété publique que Voltaire est l'auteur du livre condamné, ces ordres qui émanent de la personne du Roy même sont audessus de nostre ressort. Ce qu'on peut dire en général, c'est que quand on n'a de preuve d'un crime que par la notoriété sans aucune preuve judiciaire, le dés-aveu du coupable lorsqu'il est bien caractérisé peut quelquefois désarmer le souverain. Le feu Roy ne pensoit pas cep͞d ainsi pour les duels. Il n'est cepdant plus question que d'examiner le caractère du dés-aveu, cela est fort supérieur à ma portée. Puisque vous voulés cepd͞t que je dise ce que j'en pense, il me semble que dans la lettre qu'on propose on se forme une objection peu solide à laquelle la Réponse ne paroît pas bien complette; l'auteur convient qu'on l'acuse d'une façon de penser contraire à la Religion et au gouvernement, et cette accusation est très bien fondée.
Il semble donc pour se justifier qu'il doive rendre un témoignage autentique qu'il ne pense rien de contraire à la Religion et au gouvernt. Tel est le contradictoire de l'objection. Je ne sçay s'il a bien remply cette idée qui est celle qui viendra dans l'esprit de tout le monde.
Il co͞ence à rappeler ce qu'il a dis cy devant pour sa justification mais ce qu'il a dit cy devant est chose dont personne n'est instruit. Il comte sur la sagesse de sa conduitte à l'avenir. Il ne dit pas un mot de la sagesse de ses pensées. Il est vray qu'on peut dire que ce n'est pas là encor le lieu. Il passe son désaveu. Il dit d'abord qu'il n'a point eu de part à l'édition. Cela est bien foible. Le direct ny indirect n'y seroit il pas bien placé? et un désaveu bien formel ne seroit il pas à désirer? Qu'on eût falsifié l'édition en plusieurs endroits, c'est un incident peu important. Il s'agit de sçavoir si on l'a falsifié d͞s les endroits dont on a raison de se plaindre et il y en a un g͞rd nombre. Qu'il ait été aisé de changer le sens de son livre, peu de persones le penseront. C'est un tour ingénieux mais qui ne dit rien; quand cela seroit il faut sçavoir si on l'a changé, et dans les endroits essentiels.
Il faut venir au désaveu de l'ouvrage. Je désavoue sans aucune réserve tout ce qui peut être de contraire aux sentimens qu'un Chrétien et un fidel sujet doit avoir, voilà ce qu'on peut proposer p. justifier des écrits équivoques, voilà ce dont on se contente pour des ouvrages qui peuvent avoir un bon ou un mauvais sens ou pour excuser des auteurs non suspects, voilà ce qu'on proposoit à Mr le cardl de Noailles pour son inst. past., mais une ironie presque perpétuelle et un mépris marqué des sacremens de l'église n'exigent ils qu'un désaveu conditionnel? Un quaker est Chrétien puisque l'auteur dit qu'ils regardent J. Ct co͞e le 1er quaker, un Anglois est sujet de son Roy. Un quaquer pourroit dire, je désavoue dans ce livre tout ce qui peut être contraire aux sentimens qu'un Chrétien doit avoir, et co͞e il n'y trouva rien de contraire mais ce qu'il pense, réellt il ne désavouera rien. Un Anglois en fera autant par raport à ce qui regarde le gouvernt et l'on dira toujours à Voltaire, vous ne désavouez rien à moins que vous ne disiés quels sont les sent. qu'un chrétien doit avoir, et ceux que doit avoir un fidel sujet. Voyons ce qui suit, et par conséquens toutes les maximes qui ne seroient pas conformes au respect et à l'attacht dont je suis pénétré pour ma Religion et pour le gouvernement; on suit ici le mesme système: qui ne seroient pas conformes. Il reste donc toujours douteux si le livre est ou n'est pas conforme à la religion et au gouvernent. Supposons Voltaire quaker et Anglois dans le fonds des sent. Il en dira autant sans croire rien désavouer de tout ce qui est dans cet ouvrage. On voit même que tout se réduit [à] quelque respect; or on peut respecter sans conviction, et sans soumission, c'est icy la question du formulaire que tout le monde signeroit avec le silence et la soumn de respect. On ajoute à la vérité l'attacht, mais un quaquer est attaché à sa Religion, mais non à la nostre, un Anglois est attaché au gouvernent de son Parlt et non au gouvernement monarchique. Tout cela est plus qu'équivoque, tout le reste se ressemble. Je me répends de tout ce qui peut m'estre échappé ou pour parler plus nettement de ce que j'ay dit. Qui pourroit paroître susceptible d'une interprétation différente. Voilà en 6 mots 3 expressions diminueuses pour ainsy dire. La 1re est le mot pourroit, la 2e est paroître, le 3. interprétation. Il semble qu'on veuille parler des corppo͞ons comme ayant un bon sens et un mauvais sens. On répète respect pour la Religion, mais on dira pour laquelle? On dira ce respect est il bien intérieur? On ajoute soumission pour l'autorité Royale &c. On dira encore est-ce soumission intérieure ou extérieure? Voilà l'affaire du jansénisme. Il semble que Voltaire cherche toute sortes d'expressions pour ne se pas engager; il parle de sentimens mais quand on voit ce qui précède ce n'est plus que sentimens de respect, d'attacht, de soumn tels qu'ils les a expliqué d'abord. J'oubliois de dire qu'il ne parle point de ce qui est contre les mœurs ds le livre.
Si j'entre d͞s tout ce détail c'est pour répondre à la confiance dont vous m'honorés, car cecy n'est qu'un examen relatif à l'ordre du Roy, et subordoné à ce que le gouvernement peut penser et de l'ouvrage et de l'auteur.
Le 2d objet est le seul qui soit de mon ressort. La gr͞de difficulté (co͞e j'ay eu l'honneur de vous le dire) c'est l'avoit il condé un livre sans nom d'autheur. Il orde des inform. et des monitoires, il vient un ho͞e qui dit que ce livre n'est pas de luy, mais l'Arrest ne parle point de luy; q͞d il en parleroit son désaveu exciteroit encore plus à chercher les coupables. Ils sont en ce cas doublt coupables, 1. d'avoir composé ou fait imprimer un ouvrage qui a mérité d'être brûlé, 2. de l'avoir imputé à un auteur inocent, ou, co͞e d͞s le cas dont il s'agit, d'avoir falsifié l'ouvrage d'un auteur et d'un ouvrage qui sorty des mains de l'auteur n'avoit rien de mauvais ou peu de chose. Le désavouant est un menteur. Son désaveu ne fait rien à la rigueur de la justice, il n'y a point de coupable qui ne désavoue son crime ou qui ne cherche à s'excuser. S'il est innocent la justice doit se porter, et l'innocent a intérest luy même à chercher le coupable.
Je sçay que les crimes de cette espèce ne sont pas toujours ceux po ur lesquels le ministère public est obligé d'exercer sa rigueur d͞s toute son étendue. Il y a des cas où quelquefois quand on n'a aucune preuves existantes et qu'on est réduit aux des monitoires, on peut user de ménagemens surtout q͞d le gouvernent paroît s'y trouver intéressé. Aussy ay-je d'abord demandé les ordres de S. Em. Elle me les dona les plus précis pour agir. J'eus l'honr de vous en rendre comte, vous crûtes qu'il falloit suspendre, vous me fîtes l'honeur de me dire que vous en parlerés à S. E. Je ne doutay point un mois après qu'il n'y eût une résolution fixe. Je luy en reparlerois, il persista de son 1er avis, sur quoy vous m'aviés encor dit d'attendre. Je ne puis donc ou qu'agir ou qu'attendre des ordres contraires.
Il y a encor un embarras; d͞s de pareilles occasions où l'on n'a pas de preuves, il est rare à l'avance qu'on s'informe s'il y a eu des monitoires publics mais icy où l'on sçait qu'il y a eu une lettre de cachet, et l'auteur est de retour, dès qu'on sçaura qu'il a eu la liberté de revenir en France, il n'est pas impossible qu'on s'élève et qu'on s'informe si les monitoires ont été publiès d'autant plus que je n'ay guères vû au Plt plus d'indignation qu'on a eu et contre le livre et contre l'auteur. M. le P. P. s'étoit imaginé des difficultés. J'étois d'un sentiment tout opposé. Il nous dit après l'Arêt qu'on n'avoit pas voulu lire une seule ligne, que tous les juges avoient dit qu'ils l'avoient lu et que c'étoit un ouvrage à brûler sans miséricorde. Si donc on veuille et qu'on demande des monitoires, on ne peut jamais s'en dispenser. Voilà assurt un écrit très long, il étoit difficile de le faire plus court pour entrer exactement dans tout le détail. Que le gouvert soit content, qu'on me dise absolument de ne point agir, que l'auteur reviene, peutêtre n'y pensera t'on pas, mais je ne voudrois pas en répondre. Ce qu'il y a de plus pénible dans tout cecy pour des gens qui ont de la religion, de l'honr et qui aiment l'autorité royale, c'est que la Religion dépérit de jour en jour, le respect pour l'autorité s'affoiblit, et la décence des mœurs tombe absolument.
Si je réponds à votre confiance co͞e je le dois et coe je le désire, il s'en faut bien que je me sois expliqué ainsy à ceux qui m'ont parlé; les plus longues conversations se sont toujours terminés à 2 points fort précis. Que ce désaveu puisse désavouer le gouvernent et faire lever la lettre de cachet, cela ne me regarde point. A l'égard de l'exécut. de l'Arrest, il n'y a point en justice de coupable qui ne désavoue, ainsy le désaveu désarme pas la justice. Quand il y a un crime et un inocent soupçoner le désaveu est un nouveau motif pour chercher avec plus de soin le coupable.