1736-12-31, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à — Berger.

Vous donnez, monsieur, des conseils à mr de Voltaire, dont il n'a pas besoin.
Il n'a jamais écrit ni contre le gouvernement, ni contre la religion. Il respecte l'un & l'autre. Tous ses ouvrages portent le caractère d'un bon citoyen & d'un chrétien éclairé. Je ne citerai que la Henriade & Alzire qui devaient servir de témoignages de sa façon de penser & de défense contre les petits ouvrages qu'on lui attribue, ou qu'on envenime. Votre amitié s'est emportée trop loin. Vous auriez dû observer un peu davantage que de donner de pareils conseils à votre ami, c'est le supposer coupable & risquer que les gens, qui peuvent voir vos lettres, croient qu'il a mérité les injustices qu'il essuie. Il attendait d'une amitié sage & éclairée comme la vôtre, que, bien loin de lui reprocher un badinage innocent, que ses ennemis ont apparemment falsifié, vous vous éléveriez avec force & avec courage contre la basse jalousie & la superstition de ceux qui osent le condamner. Il n'en sent pas moins vivement l'intérêt que vous prenez à ce qui le regarde. Vous croyez bien qu'il est à présent à l'abri d'être accablé par la persécution. En quelque lieu du monde qu'il soit obligé de vivre, je suis sûre que vous n'oublierez jamais l'amitié & la considération que vous avez pour lui, & que ces deux sentiments régleront toujours vos démarches sur ce qui le regarde. Il vous aime & vous estime véritablement. Il faut espérer qu'un jour on rendra plus de justice dans son pays à un homme qui en fait la gloire, ainsi que celle de l'humanité. Si vous voulez lui écrire dorénavant, adressez vos lettres à mde d'Orville à Vassi en Champagne. Vous savez quelle circonspection il faut mettre dans ces lettres.

Je suis très parfaitement, monsieur,

Votre très humble servante, &c.