1773-04-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Antoine Raymond Jean Gualbert Gabriel de Sartine, comte d'Albi.

Monsieur,

Je ne puis trop vous remercier de vos bontés, ni trop respecter vos sages ménagements pour la personne qui a pu vendre ce manuscrit au libraire Valade.
Cette affaire n’est qu’une bagatelle, & mon seul but était de vous convaincre que je n’avais point fait débiter ce petit ouvrage dans le pays étranger, comme Valade m’en accusait pour se justifier. Puisque vous avés bien voulu aprofondir la vérité, cela me suffit & je suis trop content.

Il y a plus de quarante ans que je suis accoutumé, non seulement à voir falsifier mes ouvrages, mais à me voir imputer des choses que je n’ai jamais faittes, ni jamais lues. Ma profonde retraitte & mon âge de près de quatrevingts ans n’ont pu me mettre à l’abri de cette vexation. C’est un inconvénient qu’il faut souffrir ainsi que tous les autres chagrins aux quels la vie de l’homme est exposée. C’est une grande consolation pour les véritables gens de Lettres d’être sous la protection d’un Magistrat aussi éclairé & aussi prudent qu’équitable. Personne n’est plus sensible que moi à ce bonheur dont on jouït à Paris, & dont je ressens les effets jusques dans le pays étranger.

J’ai l’honneur d’être, avec bien du respect & de la reconnaissance,

Monsieur,

Votre très humble & très obéissant serviteur.