à Paris ce 22 aoust 1742
Monseigneur,
En partant pour Bruxelles je reçois encor une lettre du Roi de Prusse, par laquelle il me réitère de luy aller faire ma cour incessament.
Je n'irai qu'en cas que le Roy me le permette, et que votre Eminence n'ait la bonté de m'envoier son agrément.
Je vous suplie Monseigneur de vouloir bien me l'envoier à Bruxelles sous le couvert de M. Dagieu.
Au reste ce monarque aura la bonté de me rendre toutes les lettres que je luy ai écrites depuis le mois de juin, parafées de sa main; et votre Eminence verra si j'ay écrit celle qu'on m'a si cruellement imputée. Elle verra avec quelle malice noire elle est falsifiée, elle connaîtra mon innocence et l'infâme imposture sous laquelle j'ay été acablé. Je me flatte monseigneur que le Roy ayant été instruit de cette calomnie, il le sera de ma justification. C'est une justice que j'ay droit d'attendre du plus équitable et du plus sage des hommes.
Je suis attaché personnellement à votre Eminence et on ne peut avoir eu l'honneur de luy parler sans luy être dévoué.
C'est une fatalité pour moy que les seuls hommes qui aient voulu troubler votre heureux ministère soient les seuls qui m'aient persécuté; jusques là que la cabale des convulsionaires, c'est à dire ce qu'il y a de plus adject dans le rebut du genre humain, a obtenu la supression injurieuse d'un ouvrage public honoré de votre aprobation et représenté devant les premiers magistrats de Paris.
Mais monseigneur je garde le silence sur cet article comme sur beaucoup d'autres concernant le roy de Prusse. Je suis bien loin de chercher à me faire valoir.
La seule chose que je désire passionément c'est que votre Eminence soit convaincue de mes sentiments pour elle, et de mon amour extrême pour ma patrie. Si vous daignez en persuader sa majesté, ce sera le comble à vos bontez. Je vous souhaitte monseigneur la longue prospérité qui doit être le fruit de tant de modération et de tant de sagesse.
J'ay l'honneur d'être avec le plus profond respect,
Monseigneur,
de votre Eminence,
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire