1762-01-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis.

Avez vous monseigneur daigné recommencer Heraclius, que j'eus l'honneur d'envoier à votre Eminence il y a un mois?
Vous avez pu vous faire lire le commentaire en tenant la pièce, c'est un amusement. Dites moy donc quand j'ay raison et quand j'ay tort, c'est encor un amusement.

En voicy un autre. C'est mon œuvre des six jours qui est devenu un œuvre de six semaines. Vous verrez que j'ay profité des avis que vous avez bien voulu me donner. Il n'y a que ce poignard qu'on jette toujours au nez, mais je vous promets de vous le sacrifier. J'aime passionément à consulter, et à qui pui-je mieux m'adresser qu'à vous? Aimez toujours les belles lettres, je vous en conjure, c'est un plaisir de tous les temps, et per deos immortales, il n'y a de bon que le plaisir; le reste est fumée, vanitas vanitatum et efflictio spiritus.

Quand vous aurez lu ma drogue, votre Eminence veut elle avoir la bonté de l'envoier à m. le duc de Villars à Aix? Il a vu naître l'enfant, il est juste qu'il le voye sevré, en attendant qu'il devienne adulte.

Je fus tout ébahi ces jours passez, quand le Roy m'envoya la pancarte du rétablissement d'une pension que j'avais autrefois, avec une belle ordonnance. Cela est fort plaisant car il y aura des gens qui en seront fâchez. Ce ne sera pas vous monseigneur qui daignez m'aimer un peu et à qui je suis bien tendrement attaché avec bien du respect.

V.

Je me flatte que votre santé est bonne, il n'en est pas de même de celle du Roy de Prusse, ny même de la mienne. Je m'affaiblis beaucoup.