A Ferney, 4 novembre 1761
Ah, mon cher et respectable confrère, illustre et exact auteur de ce qu'il faut savoir de l'histoire de France, j'en appelle à votre exactitude.
Confrontez les dates. Vous verrez que ma lettre au chancelier d'Olivet était écrite avant la vôtre. Il vous est arrivé la même chose qu'à l'impératrice de toutes les Russies. Elle a envoyé aux libraires Crammer l'argent de deux cents souscriptions, mais après ma lettre. Ainsi je n'ai pu m'en vanter à notre chancelier. Dieu m'est témoin que je ne lui avais pas écrit pour que ma lettre fût publique. C'est lui qui l'a voulu. J'en appelle à son témoignage per deos immortales. Laissez faire, tout sera bien réparé.
Mais qu'est devenu un paquet que j'avais envoyé à mme du Deffand! un paquet qui devait l'amuser, et vous amuser vous même; un paquet d'histoire, un Ezour-Vedam, une chose unique, et qu'il me fallait me renvoyer. Je vous demande en grâce d'insister qu'on me le renvoie chez m. d'Argental.
Je me trouve entre trois Pierre, Pierre le grand, le grand Pierre Corneille, et Pierre le cruel. Je ne sais auquel entendre.
J'ai envie de vous envoyer et de vous soumettre le chapitre de la mort de ce pauvre Alexis, fils de Pierre le grand. Vous prendrez peut être alors mon Russe pour Pierre le cruel. Ce chapitre est embarrassant, car quoique j'aime fort l'impératrice de toutes les Russies, j'aime la vérité comme un fou.
Adieu, monsieur; mille tendres respects à mme du Deffand, comme à vous.