1736-05-05, de conte Francesco Algarotti à Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont.

Je vous ai envoyé, monsieur, un manuscrit in-folio qui ne vaut pas les quatre feuilles imprimées que je vous envoie.
Je n'ai le front de vous envoyer les louanges excessives que l'on m'y donne, que parce que l'on vous y rend la justice que vous méritez. La pièce n'est pas encore fini d'imprimer, et cela aurait fait un trop gros paquet. Je vous supplie de faire en sorte que la reine d'Angleterre, qui sait le français à merveille, la voie; et que si on imprime, ou qu'on traduise Alzire en Angleterre, l'épître soit imprimée et traduite. Ils me doivent cette attention pour mon admiration pour leurs ouvrages, et mon goût pour leur nation; de plus on n'y cite presque que des Anglais. Il y a eu à Paris plusieurs éditions d'Alzire, et l'épître dédicatoire n'a pas été mise à toutes. Vous savez toutes les tracasseries que l'on essuie à notre imprimerie, et l'inquisition qui règne en France dans les lettres. Je vous prie de me donner de vos nouvelles, afin que je sache où vous prendre pour vous écrire dorénavant; car je crois que l'Angleterre est prête à vous perdre. Je me flatte cependant que ma lettre vous y trouvera encore. J'en ai enfin reçu une de nos deux Lapons dans le moment de leur embarquement. Adieu, monsieur; écrivez moi, et aimez toujours un peu Cirey. Voltaire est toujours dans cette grande vilaine ville à jouir de son triomphe; on est fou de lui. Je serais bien fâchée que les honneurs changeassent les moeurs; vous êtes faits tous deux pour aimer Cirey, et on vous y aime.