à Cirey ce 20^e 7bre [1738]

Ie suis en peine de votre santé monsieur.
Ie me trouve priué de votre comerce au moment où ie me flattois de l'espérance de v͞s voir, et cette priuation m'est très sensibles. Ie suis inquiète de votre santé et ie v͞s demande en grâce de me donner de vos nouuelles. Ie v͞s ay escrit vne lettre à laquelle ie désirerois bien de receuoir votre réponse ou plutost vos instructions, mais les receurais je toujours de loin? et ne viendrés v͞s jamais voir l'école de Cirey, dont v͞s estes assurém͞t le maître? I'ay aprofondi ce que m^r Tiriot vouloit dire quand il prétendoit que m^r Algarotti auoit parlé de v͞s dans sa préface. Ce n'est point m^r Algarotti qui en a parlé, mais c'étoit vne aplication galante que m^r Tiriot v͞s faisoit, de ces paroles qui effectiuem͞t sont dans la préface: j viaggiatori deurebbero essere i traficanti dello spirito, et degli scambievogli vantaggi che anno ancho in questo genere le nationi, le vne sopra le altri, c'est à dir[e]:les voyageurs deuroient être les comerçans de l'esprit, et transmettre d'une nation à l'autre les auantages particuliers que chacune possède.Cela est très mal traduit et encore plus mal apliqué, car ce n'est vraisemblablem͞t pas p͞r n͞s rendre propres les gentillesses des lapons que v͞s aués été afronter les glaces du pôles. Au reste ie v͞s suplie que cecy ne fasse point la matière d'une tracasserie, car ce Tiriot a cru que v͞s v͞s moquiés de luy quand v͞s lui aués mandé que v͞s n'entendiés point l'italien, et come il me l'a mandé, cela feroit vn pot pouri qui ne finiroit plus. Ie v͞s enuoie deux pièces ou v͞s estes loué un peu plus conuenablement que dans cette allégorie de Tiriot. L'ode est de m^r de Voltaire et l'épître passe p͞r en être. Si ie n'étois pas honteuse ie v͞s Enuerois vn petit grain d'encens en prose qu'une personne qui v͞s admire plus que tout le monde ensemble ne le peut faire a brûlé sur votre autel, mais il me faut vn ordre de v͞s. Ce qu'il me faut surtout c'est de vos nouvelles, et le plaisir de v͞s voir.