1724-09-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Madeleine Du Moutier, marquise de Bernières.

Je loge enfin chez vous dans mon petit apartement et je voudrois bien le quitter au plus vite pour en aller occuper un à votre campagne, mais je ne suis point encor en état de me transporter.
Les eaux de Forge m'ont tué, je passe chez vous une vie solitaire, j'ai renoncé à toute la nature. Je regarde les maladies un peu longues comme une espèce de mort qui nous sépare et qui nous fait oublier tout le monde et je tâche de m'acoutumer à ce premier genre de mort afin d'être un jour moins efraié de l'autre. Cependant par st Jean je ne veux point mourir. Je me suis imposé un régime si exact qu'il faudra bien que j'aie de la santé pour cet hiver. Si je peux vous aller trouver à la Riviere je vous avoue que je serai charmé que vous y restiez longtemps, mais si je suis obligé de demeurer à Paris, je voudrois de tout mon cœur vous faire hair la Riviere et vos baux jardins. Les nouvelles ne sont pas grandes dans ce pays cy. La mort du roi d'Espagne ne changera rien que dans nos habillemens. On dit que le deuil sera de trois mois. Mr Dautre se meurt, madame de Maillebois aussi. Je suis sûr que vous ne vous en souciez guère.