1752-06-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Vous avez perdu votre fils, et vous perdrez bientôt un oncle qui vous aime autant que votre fils vous aurait aimé.
La première perte en est une véritable. Il est bien cruel de voir mourir une partie de soi même, qu'on a formée, qu'on a élevée, et qui vous est arrachée dans sa fleur. Ma chère nièce, que le fils qui vous reste vous console. Songez à votre santé que vous ne pouvez conserver qu'avec les attentions les plus scrupuleuses. La faiblesse est votre maladie. Nous sommes, vous et moi, deux roseaux; mais je suis bientôt un roseau de soixante ans, et vous êtes un roseau jeune. Je n'ai jamais senti si vivement les chagrins de notre séparation qu'aujourd'hui. Je voudrais être auprès de vous pour vous consoler, mais je me trouve malheureusement dans une complication de circonstances qui me retiennent. Une nouvelle édition du siècle de Louis 14 commencée; le départ de plusieurs personnes qui avaient l'honneur d'être de la société du roi de Prusse; la reconnaissance qui me force à rester auprès de lui; une humeur scorbutique qui me tue, un érésipèle qui m'achève; des bains, des eaux, tout cela me retient à Potsdam. Je suis obligé de remettre mon voyage à la fin de l'automne. Je mets toute mon industrie à me ménager quelques mois de vie pour venir vous voir. Je resterai constamment jusqu'à la fin de septembre à Potsdam, et je laisserai le roi courir, donner des fêtes à Berlin. Je renonce aux fêtes et aux reines. Je reste paisible dans le palais de Potsdam, avec deux gens de lettres que j'ai pris pour me tenir compagnie. Je jouis d'un jardin magnifique, je travaille quand je ne souffre pas, j'observe un régime exact, et j'espère que cette vie douce me mènera jusqu'en octobre. S'il en arrive autrement, bon soir, mon paquet est tout fait. Je fais mille compliments à votre mari et à votre frère, et je vous embrasse tendrement.

V.