1724-08-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Madeleine Du Moutier, marquise de Bernières.

Je vis hier dimanche monsieur Dargenson dont vous recevrez incessamment une réponse, mais en attendant je vous rendrai compte de ce qu'il m'a dit.
Monsieur de la Vieuville, est prest de conclure le mariage de sa fille avec un homme de robbe de Paris, qui est pour sa fille un parti avantageux; monsieur d'Argenson n'a pas pu dans ces circonstances lui proposer une autre affaire. Tout ce que vous pouvez attendre de luy, c'est qu'il parle de Monsieur de Lezeau en cas que le mariage qui est si avancé vienne à se rompre. Mais je vous donne avis que Monsieur de la Vieuville pense sur le mariage de sa fille d'une façon à désespérer tous ceux qui y prétendront. Comme il ne veut point pour gendre un homme de cour qui pouroit mépriser sa femme et son baupère, il ne veut pas non plus d'un fils de famille à qui on assureroit baucoup et à qui on donneroit peu en le mariant. Il ne veut donner à sa fille que cent mil écus, valant dix mil livres de rente et il ne voudra jamais d'un gendre qui n'aportant d'abord que cinq mil livres de revenu, et ne jouissant en tout avec sa femme que de quinze mil livres auroit besoin de la mort du bau père pour vivre à son aise. C'est un homme malaisé à guérir de ses faintaisies. Cependant s'il se trouve jour à proposer mr de Lezeau je croi qu'il faudra le faire et qu'on pouroit peutêtre engager mr de Leseau le père à donner à son fils un revenu plus considérable. Aureste j'ai très bien fait mon devoir, et en vantant mr de Leseau et sa famille j'ai eü le plaisir de suivre mon inclination et de dire la vérité. Je suis toujours logé dans votre apartement où j'ai fait tendre un lit. Je n'ai pu encor m'acoutumer au bruit infernal du quai et de la rue. Il m'est impossible d'y dormir, encor moins d'y travailler. Mais j'espère que le plaisir de demeurer avec vous surmontera tout. Je ne sai aucune nouvelle sinon que l'on juge à l'heure que je vous parle deux assassins d'un de ces quatre hommes dont il est parlé dans la comission du conseil adressée au parlement pour juger les criminels de la Bastille. Mais je ne croi pas que ces deux assassins aient aucun raport avec l'afaire de la Jonchere. Ils sont acusez d'avoir tué un chartier, et il n'y a pas d'aparence que ce meurtre ait aucune relation avec celui de Cendrier. J'ai eu jusqu’à présent baucoup d'affaires qui m'ont empêché d'aller par le monde vous chercher des nouvelles; dès qu'il y arrivera quelque chose de curieux dans ce pays cy, vous aurez en moy un gazetier plus exact que l'abbé des Fontaines.