1723-06-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Madeleine Du Moutier, marquise de Bernières.

Comme je ne veux pas perdre de temps dans le dessein que j'ai de réparer ma mauvaise fortune par les agrémens d'une vie douce et tranquille, je reviendrai à la Riviere incessamment.
J'y retrouverai dans votre amitié et dans celle de Tiriot des plaisirs qu'un peu plus de fortune ne m'auroit jamais donnéz. Je ne sçai encor aucune nouvelle qui soit bien intéressante. Si vous voulez je vous dirai qu'un nommé Charier a été pendu hier après sa mort. Mr de st Aubin, maitre des requêtes, à qui il avoit prêté de l'argent pour des billets l'avoit fait mettre depuis peu au fort Leveque. Cet homme enragé de se voir en prison si mal à propos prit un gros manche à ballet et en donna cent coups à tous les guichetiers. Ces mesrs se deffendirent avec des armes à feu et le tuèrent à coups de fusil. On l'a condanné après sa mort à être pendu par les pieds pour avoir fait rebellion à justice.

J'aprends dans le moment que le maréchal de Berwik est impliqué dans l'afaire de la Jonchere. Tout le monde regarde déjà le Blanc comme un homme perdu. Pour moi je doute encor du sucès de son avanture. Il est trop malhonête homme pour n'avoir pas de fortes ressources. J'ai vu aujourd'huy Ines de Castro que bien des gens condamnent, et voient pourtant avec plaisir. Baron n'a jamais si bien joué. Son destin est de faire réussir de mauvais ouvrages. On joue Ines deux fois la semaine et tout y est plein jusqu'au ceintre. Adieu, présentez mes respects à mr et à madame de Leseau s'ils sont à la Riviere et aiez toujours bien de la bonté pour moi.