mercredy au matin [?April 1722]
J'attends votre retour avec la plus grande impatience du monde, je prens du Vinache et ne vas point à Villars.
Voilà trois choses dont je vous ai vue douter un peu et qui sont très vraies. Je ne puis vous pardoner votre absense que par l'idée flateuse que j'ai que vous allez nous préparer une retraite où je compte passer avec vous des jours délicieux. Préparez nous votre châtau pour longtemps et revenez au plus vite. Si vous conservez pour moi encor quelque bonté soiez sûre que mon dévouement pour vous est à l’épreuve de tout. Vous m'avez laissé en partant votre mari aulieu de vous. Voilà qu'il me vient prendre dans le moment que je vous écris pour me mener chez des gens qui veulent se mettre à la tête d'une nouvelle compagnie.
Pour moy madame qui ne sçai point de compagnie plus aimable que la vôtre et qui la préfère même à celle des Indes quoy que j'y aye une bonne partie de mon bien, je vous assure que je songe bien plutost au plaisir d'aller vivre avec vous à votre campagne, que je ne suis ocupé de succez de l'affaire que nous entreprenons. La grande afaire et la seule qu'on doive avoir c'est de vivre heureux, et si nous pouvions réussir à le devenir sans établir une caisse de juifrerie ce seroit autant de peine d’épargnée. Ce qui est très sûr, c'est que si notre afaire échoue j'ai une consolation toute prête dans la douceur de votre commerce, et s'il faloit opter entre votre amitié et le succez de l'afaire, assurément je ne balancerois pas. Quittez pour un moment vos massons et vos serruriers pour me faire l'honneur de m’écrire un petit mot. Mandez moy si vous êtes bien fatiguée, si vous reviendrez samedy, comment vous vous portez et si vous avez toujours un peu d'amitié pour moy. Voilà monsieur de Bernieres qu'on m'annonce. Adieu, comptez que je vous suis attaché pour toute ma vie.