le 17 janv. 1763
Je vis hier aux François, illustre et cher ami, une jolie comédie intitulée Dupuis et Des Ronais; le sujet est pris dans un Roman françois nommé les illustres françoises.
Les trois Rosles principaux dans cette pièce en 3 actes et en vers libres, m. Dupuis père, melle Dupuis sa fille, mr. Des Ronais amant de melle Depuis. Le Père qui a un caractère de défiance très singulier e[s]t cependant assés bien justifié par la mauvaise foy et l'ingratitude qu'il a essuyée de ceux qui se disoient et qu'il croioit ses meilleurs amis. Il les a trouvés faux, frivoles, fripons, il a éprouvé des revers qui l'ont presque ruiné, il est homme d'Esprit d'ailleurs. Des Ronais est un jeune homme, bouillant, tumultueux et amoureux à la rage de melle Dupuis, qui de son costé l'aime avec toute la candeur possible. Ce Des Ronais a obtenu du père Dupuis la permission qu'ils s'aimassent, qu'ils se vissent tous les jours. Des Ronais est le seul homme que Depuis père Estime et il en a fait son ami, il luy a promis sa fille, mais il y a toujours du Retard au mariage; et Dupuis trouve ou imagine toujours quelque nouveau sujet de délay.
La pièce est en vers libres et en trois actes; elle est de mr. Colet, le plus joli chansonnier de nostre temps. Le 1er acte établit clairement et en action les 3 caractères cy dessus de Dupuis père, de sa fille et de Des Ronais. Le père qui imagine quelque nouveau délay au mariage de sa fille, a le prétexte de la jeunesse et de l'Etourderie de des Ronais; il veut que sa fille soit heureuse et jusqu'à ce que l'âge ait muri cette verdeur et cette impétuosité de Des Ronais, il craint que sa passion satisfaite n'éteigne la flame passagère; il en est donc toujours à trouver quelque raison de retarder.
Le 2d acte et qui fait le noeud de l'intrigue offre à Dupuis père une cause solide de retardement, car il aime des Ronais et il est toujours dans ses principes qu'il soit son gendre comme le plus sortable, et le plus honneste qu'il ait connu. Il loge déjà avec luy.
Il vient une Lettre adressée à mr. Dupuis chés mr des Ronais et cette lettre est d'une comtesse qui ne signe point et qui donne un rendés vous à Des Ronais - la lettre devoit avoir pour adresse, à mr. Des Ronais chés mr. Dupuis, mais les femmes amoureuses savent'elles ce qu'elles font? Il est d'ailleurs assés simple que cette comtesse se soit méprise, elle n'a que son amant en teste, elle a nommé Des Rosnais, elle croit que c'est à tout le monde de loger chés luy.
La réception de cette lettre qui tombe tout naturellement à Dupuis Luy étant adressé, fournit à Dupuis un nouveau prétexte pour reculer le mariage. Poussé par les persécutions de sa fille et de son amant de ne plus différer leur mariage, le père montre cette lettre à sa fille ce qui fait un tableau par la révolution qu'il fait dans les esprits des acteurs et des spectateurs. Des Ronais est très embarassé, melle Dupuis fort mécontente; je suis seulement fasché qu'il y ait une telle tasche dans le caractère de Des Ronais épris de la fille du monde la plus tendre; elle est pétrifiée à cette nouvelle, elle voudroit vaincre sa passion, mais elle ne [le] peut et excuse son amant. Cette scène très belle fait un grand effet, mr. Dupuis triomphe.
Au 3e acte Des Ronais qui n'aime sincèrement que melle Dupuis imagine tous les moyens de leur prouver que ce n'est qu'une erreur passagère, il demande pardon à sa vraye maîtresse, il ne reverra jamais sa Rivale. Melle Dupuis vaincüe par ses paroles et par sa propre inclination pardonne sincèrement et excuse après son amant à son père; son père dans une scène très bien faite où il leurs a fait entendre que son but n'étoit pas de les séparer, avoit il résolu de ne les marier qu'à son agonie. Il craignoit en les mariant de son vivant, que sa fille auroit moins de soins et de tendresse pour son père, il craignoit de perdre son ami Des Ronais. Enfin il cède à leur empressement, il va signer leur contrat dès ce jour. ‘Je ne répondray pas de le vouloir demain’. Cette pièce est pleine de vers heureux et fait honneur à mr Collet.