Mandez moi mon cher ami si vous avez reçu la lettre que je vous écrivis il y a huit jours et si madame de Berniere a reçu celle où je lui rendois compte de mon entrevue avec Mr d'Argenson.
Je viens de vous faire une antichambre à votre apartement, mais j'ai bien peur de ne pouvoir occuper le mien. J'ai resté huit jours dans la maison pour voir si je pourois y travailler le jour et y dormir la nuit, qui sont deux choses sans les quelles je ne puis vivre. Mais il n'a pas moyen de dormir ny de penser avec le bruit infernal qu'on y entend. Je me suis obstiné à y rester la huitaine pour m'acountumer. Cela m'a donné une fièvre double tierce et j'ai été enfin contraint de déguerpir. Je me suis logé dans un hôtel garni, où j'enrage et où je soufre baucoup. Voilà une situation bien cruelle pour moy, car assurément je ne veux pas quitter madame de Berniere, et il m'est impossible d'habiter dans sa mauditte maison qui est froide comme le pôle pendant l'hiver, où on sent le fumier comme dans une crèche, et où il y a plus de bruit qu'en enfer. Il est vrai que pour le seul temps qu'on ne l'habite point, on y a une assez belle vue. Je suis bien fâché d'avoir conseillé à monsieur et à madame de Berniere de faire ce marché, mais ce n'est pas la seule sottise que j'aie faitte en ma vie. Je ne sai pas comment tout ceci tournera, tout ce que je sai, c'est qu'il faut absolument que j'achève mon poème; pour cela il faut un endroit tranquille, et dans la maison de la rue de Baune, je ne pourois faire que la description des charettes et des carosses.
J'ai d'ailleurs une santé plus foible que jamais. Je crains Fontainebleau, Villars et Sully pour ma santé et pour Henri quatre; je ne travaillerois point, je mangerois trop et je perdrois en plaisirs et en complaisances un temps précieux qu'il faut employer à un travail nécessaire et honorable. Après avoir donc bien balancé les circomstances de la situation où je suis je croi que le meilleur parti seroit de revenir à la Riviere, où l'on me permet une grande liberté et où je serai mille fois plus à mon aise qu'ailleurs. Vous savez combien je suis attaché à la maitresse de la maison et combien j'aime à vivre avec vous; mais je crains que vous n'aiez de la cohue. Mandez moi donc franchement ce qui en est. Adressez votre lettre dans la rue de Baune comme à l'ordinaire.
Adieu mon cher ami.
ce 24 aoust [1724]