1724-07-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Madeleine Du Moutier, marquise de Bernières.

Je voudrois bien que vous ne sussiez rien de la nouvelle d'Espagne.
J'aurois le plaisir de vous aprendre que le roi d'Espagne vient de faire enfermer madame son épouse, fille de feu monsieur le duc d'Orleans, la quelle malgré son nez pointu et son visage long ne laissoit pas de suivre les grands exemples de mes dames ses sœurs. On m'a assuré qu'elle prenoit quelquefois le divertissement de se mettre toute nue avec ses filles d'honneur les plus jolies, et en cet équipage de faire entrer chez elle les gentilshommes les mieux faits du roiaume. On a cassé toutte sa maison, et on n'a laissé auprès d'elle dans le châtau où elle est enfermée qu'une vieille bégueule d'honneur; on assure que quand la pauvre reine s'est trouvée renfermée avec cette douegne, elle a pris la résolution courageuse de la jetter par la fenêtre et qu'elle en seroit venu à bout si on n’étoit pas venu au secours. Je croi que cette aventure poura bien servir à faire renvoier plutôt notre petite infante. Vous voiez que je deviens politique avec les ambassadeurs. Jusqu’à présent j'ai borné toutte ma politique à ne point aller à Vienne et à m'arranger pour vous revoir à la Riviere. Les eaux me font un bien au quel je ne m'attendois pas. Je commence à respirer et à conoitre la santé. Je n'avois jusqu’à présent vécu qu’à demi. Dieu veuille que ce petit raion d'espérance ne s’éteigne pas bientôt. Il me semble que j'en aimerai bien mieux mes amis quand je ne soufrirai plus. Je ne serai plus ocupé que de leur plaire aulieu qu'auparavant je ne songeois qu’à mes maux. Permettez moi de présenter mes respects à madame Deleseau, à monsieur votre neveu et aux personnes qui sont chez vous. Mandez moi si on a commencé à planter votre bois et à creuser vos canaux. Je m'intéresse à la Riviere comme à ma patrie.