à Etiole 19 aoust [1745]
Je ne crains pas monseigneur, malgré votre belle modestie que vous me brouilliez avec madame de Pompadour pour tout le mal que je luy dis de vous;car après tout il faut être indulgent pour les petits emportements où le cœur entraîne d'anciens serviteurs.
J'ay écrit à nostro signore le st père pour le remercier de ses portraits, et je me flatte bientôt d'un petit bref. Si je dois au cardinal Aquaviva deux médailles, je vous dois les deux autres, et cependant je sens que je suis plus reconnaissant pour vous que pour l'Aquaviva. J'ay envoyé des Fontenoy au roy d'Espagne, à madame sa très honorée et très belligérante épouse, au sérénissime prince des Asturies, au sérénissime infant cardinal, le tout adressé à M. l'évêque de Rennes, à qui j'ay dit que je prenois cette liberté grande parce que vous daignez m'aimer un peu depuis environ quarante deux ou quarante trois ans. Pardon de l'époque, mais ne me démentez pas sur le fonds. Il seroit fort doux que je dusse encor à votre protection quelque petites marques des bontez de leurs majestez catholiques; je mets les princes à contribution comme l'Aretin, mais c'est avec des éloges. Cette façon là est plus décente. En vérité je vous aurois bien de l'obligation si vous voulez bien dans votre première lettre à Mr de Renes luy toucher adroitement quelque petit mot des services qu'il peut me rendre. Les médailles papales, l'impression du Louvre, et quelque marque de magnificence espagnole seront une belle réponse aux Desfontaines.
Mais il faut que je vous parle de la lettre à un archevêque de Cantorbery, écritte par un mauvais prêtre nommé L'abbé Langlet. Vous savez qu'il y dit tout net que M. Chauvelin eüt cent mille guinées des Anglais pour le traitté de Seville. Cent mille guinées! L'abbé Langlet ne sait pas que cela fait plus de deux millions cinq cent mille livres. Si cela n'étoit que ridicule, passe. Mais une calomnie atroce fait toujours plus de bien que de mal au calomnié. Mr Chauvelin a une grande famille. On trouve affreux qu'on ait imprimé une injure si indécente. Les indiférens disent qu'il n'est pas permis d'attaquer ainsi des ministres, que l'exemple est dangereux, et on se plaint du lieutenant de police; celuy ci dit que c'est l'affaire de Gros de Boze, et Gros de Boze, dit que c'est la vôtre, que vous avez jugé la pièce imprimable; et moy je dis que non et qu'on vous a envoyé l'ouvrage, comme étant fait en pays étranger, et que vous avez répondu simplement que l'auteur prenoit le party de la France contre la maison d'Autriche, que vous n'aviez répondu que sur cet article, et que d'ailleurs vous êtes loin d'aprouver une pièce mal écritte, mal conçue, pleine de sottises et de calculs faux. Fai-je bien, fai-je mal? Prescrivez moy ce qu'il faut dire et taire. Je vous suis attaché pour ma vie avec la tendresse la plus respectueuse et la plus ardente. Nous gagnons donc la Flandre pour ravoir un jour le Canada. En attendant les castors seront chers. J'ay envie de proposer les bonnets. Trouvez donc sous votre bonnet quelque façon de nous donner la paix. Le beau moment pr vous!