A la Chenaie le 18 juin 1827.
Je suis véritablement désolé, mon excellent ami, de tous les embarras que vous occasionne la malheureuse prière que j'ai eu l'indiscrétion de vous faire. Je vous supplie de ne pas vous en tracasser davantage, et de n'y plus penser, à moins que ce que je vous ai demandé ne vous tombât, pour ainsi dire, sous la main.
La dernière brochure de l'abbé Clausel n'était que le prélude d'une violente persécution méditée depuis quelque temps contre la Société Catholique. Frayssinous l'a dénoncée dans le conseil des ministres. M. le Dauphin a dit « qu'elle et le Mémorial ce n'était qu'une même chose, et que celui-ci professait des doctrines très-inquiétantes. » On intrigue pour en détacher le duc de Rivière, et pour empêcher la publication du Bref par lequel le Pape accorde des indulgences à tous ceux qui coopèrent à cette œuvre pieuse. Nous verrons où aboutissent toutes ces fureurs.
Dans une discussion qui a eu lieu au conseil d'État sur une question relative au clergé, l'abbé de la Chapelle a parlé d'une manière qui a scandalisé, devinez qui?— M. Cuvier! Celui-ci disait à ce sujet « qu'au conseil d'État il faisait abstraction du protestantisme qu'il professait, et se considérait uniquement comme chargé de décider des questions légales ; que lorsque ces questions touchaient à la Religion, il devait les décider conformément à ce principe, que la religion catholique est la religion de l'État, et que, quand il se plaçait à ce point de vue, il trouvait que j'avais raison. »
Un pair de France, qui connait bien la Chambre dont il fait partie, manifestait dernièrement l'effroi que lui causaient les idées parlementaires qui y dominent, et qui ne sont, disait-il, que le préliminaire d'une rupture avec Rome.
L'évêque qu'on vient de nommer à Bayeux avait prêté le serment de 92. Il est vrai qu'il se rétracta, mais si le scandale est moindre, ce n'en est pas moins un scandale. Cet homme est d'ailleurs un partisan fougueux des doctrines anti-romaines. Voilà de tristes nouvelles, mais qui ne vous étonneront point. Ce qui me frappe le plus, ce sont les efforts d'un certain parti pour organiser tous les éléments épars de l'opposition au Saint-Siège, en appuyant cette opposition sur le gouvernement d'abord, et ensuite sur l'épiscopat qu'on reconstruit peu à peu selon ces vues. Si on laisse faire tranquillement, on pourrait dès aujourd'hui prédire avec exactitude l'époque du schisme. Il est à remarquer que, dans l'affaire de la Société Catholique, le Constitutionnel s'est trouvé tout naturellement l'auxiliaire de M. l'évêque d'Hermopolis.
Vous ne me parlez point, dans votre dernière lettre, de la santé de la comtesse Louise. Je prie tous les jours pour elle et pour vous tous; mais, hélas! mes pauvres prières sont bien peu efficaces.
Je me recommande instamment aux vôtres. Mes forces ne reviennent pas encore. Sur tout cela, comme sur tout le reste, la sainte volonté de Dieu ! Je ne voudrais pas quitter la Chenaie avant d'avoir fini l'ouvrage dont je vous ai parlé, et le dernier volume de l'Essai, ce qui exigera plus de deux ans : mais que peut-on se promettre en ce temps-ci ? et sur quoi peut-on compter ?
Mille tendresses du fond du coeur.