1827-07-13, de Félicité de Lamennais à Madame la Comtesse de Senfft.

Je ne sache point de plus grandes contradictions et de plus pénibles, dans le détail de la vie, que celles que vous éprouvez. Ce sont des angoisses de tous les moments et contre lesquelles on ne se sent pas le courage de lutter. J'en puis parler avec connaissance de cause, puisqu'elles ont achevé de ruiner ma santé et certainement abrégé mes jours. A présent même, quoique dépouillé complètement par des misérables, l'un desquels est presque ministre de la maison du roi, je ne suis pas encore tout à fait dégagé de leurs mains sales et crochues. Au nom de votre repos, ne négligez rien pour sortir d'un pareil état; ne regrettez aucun sacrifice, et ne renvoyez pas à demain ce que vous pouvez faire aujourd'hui, car le temps complique ces sortes d'embarras et les rend inextricables. C'est un admirable trait de la Providence que le mieux qu'éprouve la comtesse Louise, qui vous devient ainsi un appui et une consolation inestimable. Mais ayez bien soin de votre santé, et que M. de S ménage aussi la sienne; c'est un grand devoir pour lui. Allons chaque jour avec les forces de chaque jour, pleins de confiance en Celui qui nous guide et qui ne nous abandonnera pas.

Il a paru un nouvel écrit de Clausel. Ce sont toujours les mêmes fureurs et la même rage de destruction, et les mêmes folies, et les mêmes mensonges. Il se moque du Pape et des Brefs où il approuve des ouvrages dans lesquels lui, Clausel, a montré plus de mille erreurs. Son principal objet est de provoquer la dissolution de la Société Catholique des Bons Livres. Il s'identifie avec les Jésuites, rapporte la Déclaration par laquelle ils s'engageaient, avant leur suppression, à soutenir et enseigner la doctrine des Quatre Articles, même quand leur général leur ordonnerait d'y renoncer; puis, nouvelle édition des Sept Propositions supposées extraites de mes livres et

proscrites parmi eux. Là-dessus il exalte leur autorité, et dit avec raison que si, dans tout cela, l'on supposait qu'ils n'ont pas été et ne sont pas de bonne foi, ce serait les supposer les plus infâmes de tous les hommes. Il y a eu un pacte entre eux et l'évêque d'Hermopolis. En vertu de ce pacte, ils ont livré la « défense secrète » de leur général, et se sont séparés de ce qu'on appelle « le parti ultramontain. » Tel est et tel fut toujours l'esprit de l'Ordre. Il les conduira très-certainement là où ils sont déjà arrivés une première fois. Leurs colléges sont pitoyables pour les études et très-dangereux sous les autres rapports. Presque tous les jeunes gens se perdent en sortant de chez eux.

On continue de dire que le ministère songe à créer des pairs et à dissoudre la Chambre, pour tenter des élections qui prolongeraient son règne.

Personne ne croit à ce résultat. La haine et le dégoût sont trop grands. L'irritation contre la censure est universelle. Les sots articles du Moniteur détachent plus de gens du gouvernement que ne pourraient en détacher trente journaux jacobins.

Le parti populaire prend partout des forces; aussi lui donne-t-on beau jeu. On en a fait le parti de la raison, de la justice et de l'honneur. Voyez la Grèce qu'on laisse périr, voyez le Portugal; chaque souverain ne songe qu'à soi, à ses intérêts propres, à sa personne. Cependant il y a autre chose dans le monde; l'avenir l'apprendra à ceux qui l'ignorent.

J'oubliais de vous dire que Clausel reproche pieusement à Mah... d'avoir refusé un duel. Il a volé ce trait-là à un autre prêtre, à l'abbé Féletz. Enfin, vous voyez que nous avons aussi notre morale gallicane,

Mon genre de vie, seul à la campagne, est si monotone, il serait si difficile de trouver quelqu'un qui ne s'en fatiguât pas promptement, que j'ai tout à fait renoncé au projet dont je vous avais fait part. On se passe de ce qui manque : c'est un

mal négatif; mais le tête-à-tête entre deux personnes qui ne se conviendraient pas serait, bien positivement, la chose du monde la plus insupportable. Il vaut mieux n'en pas courir le risque.

Que devient le pauvre L... ? Il lui faudrait une girafe avec ses longues jambes pour courir à sa fantaisie. Le roi a fait venir à Saint-Cloud celle dont lui a fait présent le pacha d'Egypte. La cour a été enchantée, ce qui me donne une haute idée de-l'animal.

On dit que M. de Brézé en est un peu jaloux.