1827-06-11, de Félicité de Lamennais à Madame la Comtesse de Senfft.

Je n 'ai point de vos nouvelles depuis le 25 mai, jour où vous m'annonciez votre départ pour Oleggio. J'espère apprendre bientôt que vous y êtes arrivés sans accident, et que la santé de la comtesse Louise se trouve bien et de l'air et des eaux. Je lui recommande l'exercice, les distractions, et je dirais la gaieté, si la gaieté dépendait de nous; mais on peut au moins toujours lutter contre les idées noires et contre cette tristesse qui vient quelquefois nous saisir, sans que nous sa-chions pourquoi, ni elle non plus. Saint Paul répète souvent cette parole : Paix et joie dans le Saint-Eçpi,it ! Ce n'est pas seulement un souhait dans la bouche de l'Apôtre ; c'est encore un conseil, ce qui montre que la volonté y peut plus que nous ne serions portés à le croire.

Il vient de paraître une nouvelle brochure de l'abbé Clausel, plus violente que tout ce qu'il avait encore écrit jusqu'à présent; il y écume d'un bout à l'autre. Il attaque le Mémorial et particulièrement Laurentie ; il m'attaque et prouve à sa façon que je suis hérétique, schismatique, enfin que sais-je? Mais ce n'est rien que cela. Il finit par se ruer sur la Société Catholique, qu'il ne traite pas mieux que moi, la dénonçant à l 'épiscopat comme la conspiration la plus dangereuse contre l'Église de France et contre le christianisme. Je crois très-réellement que cet homme est possédé. Du reste, il a des partisans parmi les évêques, surtout parmi ceux de la Chambre

des pairs, et je ne serais pas surpris que cet éclat ne fût concerté. Déjà M. de Latil avait recommandé à son clergé de ne prendre aucune part ni à la Société Catholique, ni à la. Société de la Propagation de la Foi, « attendu que c'étaient des œuvres ultramontaines. » Ils en viendront à défendre de dire la messe, par la raison qu'on la dit à Rome. La Providence a permis que, le jour même où paraissait le libelle de Clausel, la Société Catholique ait reçu un Bref et une lettre du Pape, qui loue, approuve, encourage cette œuvre si utile à la Religion, et accorde les indulgences les plus étendues à tous ceux qui y coopèrent d'une manière quelconque. Nous verrons s'il se trouvera des évêques qui osent faire des Mandements contre ce Bref. Je m'attends qu'il y en aura contre moi, à l'exemple de l'évêque de Saint-Brieuc et de celui de Dyon. Clausel les pousse fort à cela. Il dit que « si le Pape loue l'auteur, c'est qu'il n'a pas lu ses livres., et qu'en tout cas le premier jugement appartient aux évêques du lieu où l'erreur a pris naissance. » Voilà où en sont les choses; je vous tiendrai au courant de la suite. Ce qu'il y a de plus grave dans ces excès de la fureur et de la folie, c'est qu'on voit se préparer et s'organiseT une guerre contre le Saint-Siége, guerre qui pourrait devenir extrêmement dangereuse, si on ne l'arrêtait pas à temps. Après tout, Dieu est là, et son esprit inspirera notre saint Pontife.

Je crois devoir vous transcrire ici ce que m'écrit une de nos dames de la rue des Postes : « J'ai reçu indirectement des « nouvelles du pauvre L. Il a acheté pour plus de trois, mil« lions de terres et de châteaux dont les actes devaient être « signés à Paris au mois d'avril. Vous voyez que bien décidé« ment il est fou. Il prêcha cependant à merveille au Pont« Saint-Esprit, il y a quelques semaines, puis il est, dit-on « parti pour Turin. M. Rausan nous a raconté mille folies de « ce pauvre abbé. »

Vous avez vu, dans les journaux, les nominations à Bayeux et à Vannes. On envoie à Bayeux un sorbonniste forcené, et à Vannes un homme pieux, mais une vraie caricature. Ces choix sont désolants. Il semble qu'on prenne à tâche d'achever notre pauvre Église déjà si malade.

Mon frère qui est ici, malheureusement pour très-peu de jours, profite de cet instant pour vous écrire. Je ne le reverrai qu'en septembre, car je ne compte pas les deux jours qu'il doit me donner en juillet. Et vous, quand vous reverrai-je? Il faut attendre les moments de Dieu.

Mon frère qui est ici, malheureusement pour très-peu de jours, profite de cet instant pour vous écrire. Je ne le reverrai qu'en septembre, car je ne compte pas les deux jours qu'il doit me donner en juillet. Et vous, quand vous reverrai-je? Il faut attendre les moments de Dieu.