28 janvier 1828.
Nous ne voyons rien, mon cher ami, à quoi l'on n'ait dû s 'atteiidre, et nous ne voyons que le commencement. Je vous l 'ai dit bien des fois, et je ne le répéterai jamais assez. La grande affaire du libéralisme est moins de changer la dynastie que de changer la Religion. Ces deux choses, d'ailleurs, se lient intimement, et deviennent tour à tour but et moyen selon les circonstances. Je n'ai pas douté un seul instant que l on ne commençât par attaquer l'éducation ecclésiastique pour aller ensuite plus loin. Vous me demandez ce que je pense de la déclaration de guerre à l'Église signée Portalis, et plus bas CHARLESl. Un petit commentaire sur le premier paragraphe de cette déclaration vous l'apprendra mieux, peut-être, que ne le ferait un discours suivi.
« La nécessité d'assurer, dans toutes les écoles ecclésiastiques secondaires, l'exécution des lois du royaume, est généralement reconnue. »
Je me demande d'abord, en thèse générale de droit, ce qu'ont à faire les lois du royaume avec les écoles ecclésiastiques secondaires ou autres. Si l'État est catholique, il doit reconnaître avec tous les catholiques, comme point de foi, l'indépendance absolue de l'Église dans l'éducation de ses ministres, qui ne peut être soumise, sans une usurpation sacrilège, au législateur civil. Il n'a le droit d'y intervenir que pour réprimer les scandales publics, s'il en arrivait, de la même manière qu'il peut et doit empêcher les désordres qui auraient lieu dans les églises pendant la célébration du service divin.
Si l'État n'est pas catholique, sa prétention de régler, par des lois, l'éducation ecclésiastique, est encore plus énorme et plus alarmante. C'est un commencement de persécution, et le roi des Pays-Bas, qui l'a tenté dernièrement, a été obligé de reculer devant la juste opposition de ses sujets catholiques. En Angleterre, en Irlande même, l'éducation ecclésiastique est libre, et lorsqu'elle ne l'était pas, les catholiques de ces pays, furent obligés de fonder en France, en Espagne, en Portugal, en Flandre, en Italie, des collèges sans lesquels la Religion n'eût pu se perpétuer parmi eux.
Mais, à prendre notre législation telle qu'elle est et pour ce qu'elle est, la phrase du ministre est une accusation générale contre le clergé, et particulièrement contre les évêques, qu'elle suppose en état de contravention, et même de contravention volontaire, avec les lois du royaume; autrement il aurait suffi de les avertir, sans qu'il fut besoin d'un si grand éclat pour réformer les abus s'il en existait. Je dis s il en existait : car, même en entrant dans les idées des adversaires, je doute qu'on pût citer une seule infraction réelle à ce que le ministre appelle les « lois du royaume. » Il n'y a pas infraction dans le nombre des écoles, puisqu'il n'en est pas une qui n'ait été autorisée par le pouvoir légal. Il n'y a pas infraction dans le choix des professeurs, car le choix en est laissé par les lois mêmes aux évêques. Il n'y a pas infraction dans le mode d'enseignement et dans la nature des choses enseignées, car les lois n'ont rien prescrit aux évêques sur ce point.
Donc la vraie pensée du ministre est celle-ci : — « Nous vous accusons d'avoir violé les lois, afin d'avoir le prétexte d'en faire une contre vous, parce que, dans notre projet d'établir une Église dont nous soyons maîtres, il faut que nous le soyons d'abord de son enseignement. » — C'est ce qui va devenir encore plus clair tout à l'heure. Poursuivons.
« Les mesures que cette nécessité commande ont besoin « d'être complètes et efficaces. »
Il est aisé de reconnaître ici le langage de la Révolution toutes les fois qu'il a été question de recourir à ce qu'elle appelait une grande mesure, c'est-à-dire de commettre quelque grand attentat.
« Elles doivent se coordonner avec notre législation politique « et les maximes du droit public français. »
On ne voit pas nettement d'abord à quoi revient ici notre législation politique; mais, ce mot expliqué par tout ce qui a été dit et écrit depuis quelques années, et par les paroles qui suivent, il est visible qu'il ne s'agit pas seulement de lois réglementaires, mais d'un enseignement national pour une Église nationale, enseignement qui serait, comme de droit, prescrit et surveillé par l'autorité civile. Les maximes du droit public français, c' est-à-dire les Quatre Articles de 1682, serviront de base à cet enseignement en vertu d'une décision des Chambres, ou d'une ordonnance du Roi, ce qui n'est pas autre chose que ce qui se fit, en Angleterre, sous Henri VIII.
Remarquons, cependant, qu'il n'est déjà plus question des écoles secondaires, les seules dont le ministre ait d'abord parlé.
Notre législation politique et les maximes dît droit public français n'ont, que je sache, qu'une faible connexion avec le rudiment. Pour en trouver l'application, il faut monter plus haut, jusqu'aux grands séminaires; et voilà la théologie placée dans le domaine des ordonnances et des lois. Sans cela, évidemment, la « mesure » ne serait pas complète ; et, pour qu'elle soit efficace, il faudra deux choses : des signatures, promesses, ou serments exigés, et des dispositions pénales pour y contraindre. On ira vite et loin par cette voie. Examinons un peu ce qui arrivera probablement.
Beaucoup de professeurs refuseront de signer; un plus grand nombre d'élèves refuseront d'écouter ceux qui signeront. On discutera de nouveau ces grandes questions, qui, déjà si claires, le deviendront encore davantage. On les considérera sous le rapport de la conscience. Il se formera contre la signature une opinion générale dans le clergé, La division sera si forte, et la chaleur si vive, que Rome ne pourra éviter de parler. De quel côté se rangera-t-elle? Cela n'est pas trop difficile à prévoir. Sa décision entraînera sur-le-champ l'immense majorité du clergé. Que fera alors le gouvernement? S'il cède, adieu ses maximes ! Si, comme il est plus vraisemblable, il s'obstine, le voilà seul avec quelques prêtres schismatiques, et forcé, quoi qu'il en ait, de persécuter les autres, qui auront derrière eux vingt millions d'hommes, parmi lesquejs il pourra bien s'en trouver quelques-uns aussi peu patients que les Vendéens, et que 110S paysans de l'Ouest. Toujours sera-ce un schisme. Il y aura des évêques institués par le Pape, et des évèques institués par le Roi : un clergé constitutionnel et un clergé catholique romain. Calculez les suites.
« Elles (les mesures complètes et efficaces) se rapportent à la « fois aux droits sacrés de la Religion, à ceux du trône, à l'au« torité paternelle et domestique, à la liberté religieuse garan« tie par la Charte. »
Voilà bien le vague doctrinaire et révolutionnaire. Le premier droit de la Religion, c'est d'être libre, car Dieu l'a rendue indépendante devous, et de tout pouvoir temporel. C'est donc une odieuse dérision que de nous parler de ses droits sacrés, quand vous les violez par cela seul que vous prétendez lui imposer des lois.
Ceux du trône : c'est-à-dire le Souverain affranchi de la loi divine, et dictant les siennes à l'Église dépositaire des commandements et de l'autorité de Dieu.
A l'autorité paternelle et domestique. Ceci est par trop bête. Les pères sont-ils forcés d'envoyer leurs enfants dans les écoles ecclésiastiques? Il n'y a qu'une chose à détruire, si vous voulez rendre à l'autorité paternelle ses droits, c'est votre université.
A la liberté religieuse garantie par la Charte. La liberté religieuse de qui? des protestants? Que leur importent nos écoles ecclésiastiques? Elles sont, je crois, terriblement secondaires pour eux. Des catholiques? C'est donc en vertu de la liberté religieuse que vous viendrez, — vous, gouvernement, — leur prescrire des articles de religion?
Au reste, mon ami, il faut attendre le résultat des méditations de ces neuf personnages si singulièrement rapprochés. Il y a là des noms qui promettent. Je ne sais pas si vous savez que Mounier est protestant, de sorte que voilà un protestant appelé à réformer les écoles ecclésiastiques catholiques, et chargé de faire la leçon aux évêques sur leur enseignement. Les Jésuites, qu'on aura l'air de vouloir atteindre seuls, ne sont là qu'en nom. C'est à l'Église entière qu'on en veut. Et ne croyez pas qu'il y ait un moyen humain de prévenir les maux que nous prévoyons depuis longtemps. Le remède ne sortira que de l'excès du désordre; et c'est par là que, peu à peu, après beaucoup de temps, la vérité se fera jour dans les esprits. C'est l'ordre éternel du monde : nous ne le changerons point. J'aurais à vous dire encore une infinité de choses, mais cette lettre est déjà trop longue, et j'en ai aujourd'hui tant d'autres à écrire, que je n'ai pas même le temps de relire celle-ci. Adieu, cher; aimez-moi toujours, écrivez-moi souvent . Ces doux épanchements du cœur sont, après Dieu, la seule consolation que je puisse goûter en ces jours calamiteux. Tout à vous, et à jamais.