A la Chenaie le 7 janvier 1828.
Je crois, monsieur le marquis, que vous devez être content de la persévérance de M. de Villèle, et pourtant il n'y a pas d'apparence que ce soit pour lui qu'il a été dit : Qui pcrseveraverit usque in finem, hic salvus erit. Son jugement est prononcé, il est sans appel ; et voilà ce que toute la France ne peut parvenir à lui persuader : -à moins cependant qu'il n'ait mis dans sa tête d'être solennellement exécuté par les Chambres, auquel cas il n'y aurait rien à dire; il ne faut pas disputer des goûts.
Seulement, on pourrait s'étonner que le roi consente à cette fantaisie de son ministre ; car, je vous demande un peu, quel bonheur pour la Royauté de s'entendre dire : « Il vous plaît de « garder M. de Villèle; nous en sommes fâchés, mais il nous « plaît, à nous, de le renvoyer; et il s'en ira, attendu que vous « avez bien le droit de nous gouverner, mais avec des gens « de notre choix ; vous avez bien le droit de prendre des con« seils, mais à la condition toute simple et toute naturelle « qu'on ne vous conseillera que ce que nous voudrons, car, en « bons et fidèles sujets, nous avons infiniment à cœur d'être «'toujours d'accord avec vous, ce qui n'arrivera jamais plus « sûrement que quand notre volonté sera la vôtre1. » On ne saurait nier que ce compliment ne soit très-constitutionnel; mais si j'avais l'honneur de m'appeler Charles X, je n'en serais pas assez flatté pour faire naître l'occasion de le recevoir. Chacun a ses idées, et il est vrai que ce n'est pas trop la peine d 'être délicats sur certaines choses ; d'ailleurs, la Révolution est reine aussi. Elle le sera bientôt toute seule, si l'on en juge par ce qui se dit et par ce qui se fait. Nous approchons de grands événements. Je ne serais pas surpris que la guerre contre l'Église ne commençât dès cette saison ; du moins elle ne peut tarder beaucoup. On nous demandera des déclarations, des signatures, des serments, enfin que sais-je? le tout pour être refusé ; après quoi on déclarera que la « Religion romaine » est incompatible avec la Charte et les libertés publiques, et l'on s'occupera de former un clergé national ou gallican. On lui livrera les évêchés, les églises, les presbytères, les séminaires, les écoles. Tout ce qu'il y a d'impie en France le soutiendra en le méprisant. Les prêtres romains ne laisseront pas de continuer leurs fonctions, parce qu'il ne leur est pas permis de les abandonner en conscience. On dira qu'ils détournent le peuple de l'obéissance aux lois, et l'on en fera de sanglantes contre eux. Voilà ce que nous sommes destinés à voir, et bien d'autres choses encore. Je ne parle pas des changements purement politiques ; on les devine assez. Que nous ayons le duc d'Orléans, le prince d'Orange, ou un auguste Président, à la manière des États-Unis, la guerre extérieure est inévitable; pour la faire, il faudra de l'argent: où en prendra-t-on? Où on en trouvera. Je ne dis pas que l'on confisque, mais on empruntera, sans intérêts, à perpétuité. Vous trouvez peut-être, monsieur le marquis, mes prévoyances bien noires; je suis sÙr, cependant, qu'elles ne diffèrent pas de beaucoup des vôtres. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les hommes raisonnables s'attendent à de nouvelles calamités. Il y a longtemps que, pour eux, l'époque seule est incertaine. Le mal a creusé en dessous pendant le ministère qui va finir; maintenant l'escarre tombe, et l'on aperçoit la plaie : de là l'étonnement des niais et la frayeur universelle. Mais ne croyez pas que cela dure. Qu'un homme de leur goût et de leur confiance, un « homme d'État, » comme nous en avons, vienne leur dire : « Soyez tranquilles! » ils seront tranquilles autant que jamais.
Quelque chose qui arrive, j'espère, monsieur le marquis, que Dieu veillera sur vous et les vôtres; et c'est ce que je lui demande de tout mon cœur. Tous les vœux sont renfermés dans celui-là. Permettez-moi d'y joindre l'expression des sentiments d'amitié et de respect que je vous ai voués.