A la Chenaie, le 31 janvier 1828.
Je crains beaucoup, monsieur le marquis, que le ministère, ruit de vos couches, n'atteigne pas même l'adolescence, quoiqu'il s'imagine faire preuve de force en voulant marcher tout seul. Il est vrai qu'on ne mettait pas à un prix médiocre l'appui qu'il sollicitait, et c'eût été véritablement payer un peu cher « le bâton du voyageur 1. » Les détails que vous me
donnez sur ce marché proposé et rompu si singulièrement, ont quelque chose de merveilleux, même de nos jours : ce sont comme les Mille et une Nuits de la bêtise et de l'orgueil.
En attendant qu'il plaise aux Chambres de nous constituer un gouvernement; que, bien entendu, elles s'occuperont le lendemain de déconstituer, et le tout trés-constitutionnellement, M. Portalis s'efforce d'apaiser la grosse faim du libéralisme, en lui jetant, avec les congrégations enseignantes et les écoles diocésaines, une bonne et solide espérance de schisme. Car, bien que le rapport du Garde des sceaux ne parle explicitement que des petits séminaires, ce sont surtout les grands qu'il menace sans les nommer, à moins qu'il n'ait su ce qu'il disait, ce qui peut, au reste, se supposer comme autre chose. Les « mesures complètes et efficaces qui doivent se coordonner avec notre législation politique et les maximes du droit public français, » n'ont pas, que je sache, de rapport très-prochain avec les conjugaisons et la syntaxe. Mais, si l'on avait en vue l'enseignement théologique, si les maximes du droit public français étaient par hasard les maximes de 4682, cela deviendrait plus clair, et peut-être serait-ce l'Église elle-même qu'il s'agirait de coordonner avec notre législation politique, ce qui serait en effet « complet, » après quoi l'efficace n'embarrasserait pas. Nous verrons le résultat des hautes pensées de la commission. Il s'y trouve des noms qui promettent. Quoi qu'il en soit, je regarde cette pancarte signée Portalis, et plus bas Charles, comme une déclaration de guerre au clergé. Il me paraît difficile qu'on rentre après cela dans l'état de paix. La Révolution n'abandonnera pas l'espoir qu'on lui a donné. Ce qu'elle veut avant tout, c'est ce que voulaii aussi, un temps fut, M. de Mirabeau, « décatholiciser » la France. Elle n'y parviendra pas; mais elle parviendra, et avant peu d'années, à établir politiquement le schisme. Presque tout ce qui est aujourd'hui actif dans la nation le veut; mais derrière cette activité de parquet, de comptoir et de boutique,— et même de salon, puisqu'il le faut dire, — il y a plus de vingt millions de chrétiens, qui pourront devenir actifs à leur tour, quand on aura blessé leur conscience et qu'on tyrannisera leur foi !
Rassurez, monsieur le marquis, Mme de la Trémoille sur les Jésuites. Pour moi, ils ne « me font peur » que par leur insignifiance. C'est un Corps qui périt de faiblesse; il n'a de vie que dans le rudiment : ce qui fait qu'outre le reste, il serait J cruel de le lui ôter.
Que Mme de la Trémoille daigne ouvrir les yeux, qu'elle cherche ce géant, elle ne verra qu'une ombre. Du reste, je vous prie de lui dire combien je suis fier de sa bienveillance; je ne la mérite à aucun égard, et peut-être en suis-je encore, à cause de cela, plus flatté.
Oserai-je vous prier d'offrir mes respectueux hommages à madame la marquise de Coriolis, et de vous offrir à vous-même tout ce qu'il y a de plus tendre dans mon cœur qui vous est à jamais dévoué?