1828-01-28, de Félicité de Lamennais à Madame la Comtesse de Senfft.

Vous savez déjà que le ministère s'est résolu à tenter, tel qu'il est, l'ouverture de la session. Il ne paraît pas que l'on ait fait de propositions à La Bourdonnaie et Delalot ; mais l'évêque d 'Ilermopolis fut député par ses confrères à Chateaubriand pour lui offrir le portefeuille de l'instruction publique. Sur le premier bruit de cette démarche, le pauvre homme, à ce qu'on me mande, était ivre de joie. Mais, quand il vit arriver don Abbondio 1, il s'imagina qu'il pouvait traiter avec le ministère comme Clovis avec les Gaulois ; en conséquence, il demanda, comme condition sine quâ non de l'alliance qu'on lui proposait, un portefeuille pour Royer-Collard; quelques-uns disent un autre portefeuille pour le duc de Broglie; l'entrée dans le Conseil pour Bertin de Vaux etdeSalvandy ; et enfin 500,000 francs par an pour les Débats, De pareilles exigences ont semblé excessives. On a rompu les négociations et pris le parti que vous connaissez, en se rapprochant toutefois du libéralisme, qui flatte et menace en même temps, et qui a lieu, en effet, de concevoir d'assez belles espérances. Les probabilités du moment sont que le ministère définitif se groupera autour de Portalis et de Roy. Toutefois cela dépendra du partage des boules, dont la répartition proportionnelle ne saurait encore être prévue certainement. En attendant, chacun dit son mot, et la plaisanterie va son train. On demande de quelle couleur est le ministère, — et on répond qu'il est Caca-Dauphin.

Le rapport de Portalis, et l'ordonnance rendue sur ce rapport, est une déclaration de guerre à l'Église et le commencement de la persécution. Je n'ai pas le temps de déduire ici comment cette mesure enveloppe les grands sémimaires aussi bien que les petits, et comment elle serait illusoire pour la fin qu'on se propose et qu'on avoue, si l'on n'en vient à exiger des promesses, des signatures, et à subordonner tout l'enseignement théologique à la volonté du pouvoir civil, de la même manière que sous Henri vur. Nous devons nous attendre atout, car on veut quelque chose de complet et d'efficace, comme le dit le sieur Portalis. Néanmoins cela demandera du temps, et la crise n'est pas tout à fait si prochaine que quelques personnes qui, hier, étaient fort tranquilles, le craignent aujourd'hui. Après s'être refusé longtemps à voir le mal, on en est plus effrayé et hors de mesure lorsqu'on est forcé de dire : « Le voilà, pourtant! » La grande question est de savoir ce que feront les évêques. Malheureusement, il y a peu d'espérance de ce côté; il y en a peut-être encore moins d'ailleurs. Mais les événements forceront la main, ouvriront les bouches bâillonnées par la peur, et c'est ainsi que la foi se sauvera. Courage donc, et.prière; quelle que soit la puissance des ennemis de Dieu, la sienne est encore plus grande. Irridebit et subsannabit eos.

On m'écrit : « Les ordonnances apparaissent de jour en jour pour montrer au peuple une sorte d'abdication de la royauté. On invoque la souveraineté populaire en créant des commissions qui doivent décider ce qu'il convient de faire sur chacune des questions où il serait le plus nécessaire d'apporter l'autorité des volontés royales. Le roi, par ses ministres, n'agit plus; il déclare qu'il ne sait désormais que faire par lui-même. On nous annonce ainsi que le gouvernement royal, incapable de savoir, de vouloir, de pouvoir, livre la société aux lumières, aux volontés, aux forces des particuliers. »

Je viens d'éprouver encore une vive affliction. Nous avons perdu mon pauvre père; il avait quatre-vingt-six ans, et sa vie n'était plus qu'une lente agonie, supportée avec toute la patience de la foi et toute la vigueur d'âme d'un chrétien. Je le recommande à vos prières, quoique je le croie maintenant plus heureux que nous. Cette perte, après tant d'autres, pèse tristement sur mon cœur. Siccine separal amara mors?

Mais le jour de la réunion viendra. Dans le royaume de Jésus-Christ, les pleurs n'ont qu'un temps et la joie seule est éternelle.