1827-06-04, de Félicité de Lamennais à Madame la Comtesse de Senfft.

Si je voulais, vous remercier de vos bontés comme je les sens, ce serait chose impossible. Au milieu de tant d'affaires, de tant d'inquiétudes, de tant de soins, trouver encore le temps de vous occuper de moi, avec un zèle si plein d'amitié,

cela me touche mille fois plus que je ne puis vous l'exprimer. Oh! que ne puis-je vous donner au moins quelque petite marque de reconnaissance! Mais le bon Dieu m'en ôte le moyen, et je n'ai à vous offrir que mon pauvre cœur tout rempli de gratitude et de tendresse. Je tâcherai de rendre la vie de nos champs la moins ennuyeuse que je pourrai au bon jeune homme que vous m'annoncez. Il se reposera un peu à Paris, et ensuite il est possible qu'il fasse avec l'abbé Gerbet le reste du voyage.

Je ne résiste pas à la tentation de vous rappeler quelques passages de votre admirable lettre du 25 mai :

« Il est trop jeune encore pour sentir la nécessité de l'indulgence. — Cette humeur vagabonde qui n'est pas seulement maladie, mais pli fautif de l'esprit. — Ce marais européen qui est tout près de redevenir fournaise. » Que tout cela est vrai et profondément observé! Mais le monde est plein de gens qui ne verront le soleil que quand il sera noir comme un sac de crin, et qui commenceront à entendre quand sonnera la trompette du Jugement dernier. Toutefois il y a une frayeur générale. On s'inquiète, et l'on ne sait pas de quoi. C'est comme la terreur d'un rêve. Pour calmer les esprits et les rassurer, on nous promet la censure immédiatement après le renvoi des Chambres. Cela est bien, tout est bien, car tout est surnaturel dans ce qui se passe sous nos yeux.

Mandez-moi, je vous prie, si la mort du roi de Saxe a quelque influence sur votre position. Le retour annoncé de dom Pedro en aura une grande sur les affaires du Portugal et de la Péninsule. Tout s'embrouille de plus en plus. L'Éole britannique se dispose à ouvrir ses outres, mais les tempêtes qui en sortiront l'emporteront lui-même avec la Tyr nouvelle, et sa puissance et son orgueil. L'homme qui a été décrié chez lui par un autre! est admirable et se conduit admirablement. On ne juge pas mieux, on ne fait pas mieux. Dieu est avec lui. Qu'il soit aussi avec vous pour vous diriger, pour vous soutenir et vous consoler.