1827-06-04, de Félicité de Lamennais à Madame la Comtesse Louise de Senfft.

Je veux aujourd'hui vous écrire un petit mot en particuier, d'abord pour vous rendre mille grâces de votre si aimable souvenir du lendemain de l'Ascension, et puis pour vous dire à vous-même combien je suis tourmenté de vos souffrances continuelles. Hélas ! que serait-ce que cette triste vie, si la foi, si l'espérance, si l'amour, ne nous soutenaient! Il y a des moments où je suis prés de succomber sous le fardeau. Mais vous avez plus de force que moi, parce que vous avez plus de vertu. Le bon Dieu vous mesure ses grâces en proportion de vos épreuves. Oh! profitez, profitez bien d'une si grande occasion de mérite. Ne laissez rien échapper, pas même la plus petite feuille de cette belle et riche couronne que les anges tressent pour vous dans le ciel. Les souffrances seront passagères ; même ici-bas, elles ne dureront pas toujours; mais la récompense ne passera point. Patience donc et douceur au milieu de vos maux, qui ne sont pas seulement les vôtres, mais encore ceux de vos excellents parents, ceux de tous vos amis, parmi lesquels je vous supplie de permettre que je me compte, moi pauvret. Que je voudrais être près de vous pour partager les soins que vous prodigue la tendresse de vos proches, pour essayer de vous distraire, ne fût-ce que par quelqu'une de ces folies que vous pardonniez à ma jeunesse! Vous souvenez-vous comme nous avons ri? J'espère toujours que ce temps-là reviendra, et sûrement ce ne seront ni les choses risibles, ni les personnages ridicules qui manqueront à notre gaieté, quand le bon Dieu permettra que j'aie le bonheur de vous revoir. Cependant soignez-vous, soignez vos bons parents, qui ne vivent que pour vous; adoucissez-leur, autant que vous le pourrez, la peine qu'ils ressentent de vos souffrances; et puis, tout doucement, tout doucement, avançant un pied, puis l'autre, nous atteindrons un meilleur avenir.

Je vous porte tous les jours au saint autel; priez aussi pour moi, ce sera grande charité, car il n'y a point de misère plus profonde que la mienne. Mille vœux et mille tendresses.