A la Chenaie le 5 mai 1827.
La lettre incluse à M. de S. était pliée et cachetée, lorsque votre lettre du 5 avril, et celle de la comtesse Louise, du 17 me sont arrivées. Combien je suis triste de vos peines ! Combien je suis triste de vos souffrances! Au nom de Dieu, prenez sur vous, ne vous laissez point aller à un découragement qui abattrait tout à fait vos forces. Il viendra un meilleur temps, et, après tout, ne faut-il pas supporter la vie telle que la Providence nous la donne? Elle est dure pour tous les enfants d'Adam, mais songeons à la récompense, à cette autre vie qui nous est montrée là, devant nous, tout près, et néanmoins dans la gloire même de Dieu. Je supplie M. de Senfft de prendre soin de sa santé si précieuse et si chère. Si le service que je lui demande devait lui causer le moindre embarras, je le prie en grâce d'oublier complètement que je lui aie écrit. Je pense à vous sans cesse dans ma tranquille solitude : je vous porte tous les jours au saint autel, là où tous les regrets s'adoucissent et viennent se perdre dans une éternelle espérance. J'ignore quand je vous reverrai sur la terre, mais je ne doute point que je vous reverrai. Croyez-le aussi, ce sera pour moi une assurance de plus de votre si douce amitié. J'aurais voulu passer ma vie près de vous. La Providence en a disposé autrement; elle me crée ici des devoirs qu'il faut que j'essaye de remplir, et je m'attends à de nouvelles épreuves. Paratum cor meum! du moins je tâche de le préparer.
Voici quelques anecdotes que l'on m'écrit de Paris.
«... A la revue qui a eu lieu, le 16 avril, au champ de Mars, le roi a été singulièrement affecté de l'accueil un peu morne qu'on lui a fait. Rentré aux Tuileries, il a fait appeler M. le Dauphin, et lui a témoigné sa surprise et sa peine de n'être pas aimé de son peuple; M. le Dauphin lui a répondu que le peuple l'aimait, mais qu'il était mécontent de la loi sur la presse. Le roi a mandé les ministres. M. de Vil. a déclaré que, dès le principe, il n'avait pas goûté ce projet ; M. de Peyronnet a assuré qu'il triompherait à la Chambre des pairs ; Corbière a ricané. Bref, le roi a ordonné le retrait.
« ... Un officier de la garde, dont le régiment a été en garnison à Rouen, me disait dernièrement qu 'à leur arrivée dans cette ville le corps des officiers fit sa première visite à M. le cardinal, qui leur adressa des questions militaires sur le nombre de leurs soldats, les jours de marche, etc.; et qu'au sortir du palais épiscopal ils se rendirent chez le lieutenant général commandant la division, qui leur parla de l'état du diocèse, en gémissant sur le manque de prêtres!
« ... Une thèse vient dernièrement d'être soutenue en Sorbonne sous la présidence du cardinal de Clermont-Tonnerre. La séance a été ouverte par un discours latin du cardinal, dont la voix très-basse s est élevée à la fin du discours pour déclarer « qu 'on défendrait toujours en Sorbonne les droits du roi, « et qu'il fallait commencer la thèse par là. » En conséquence, M. Fontanelle, pour fournir au candidat l'occasion de défendre les droits-du roi, a présenté des objections contre la doctrine du premier article de la Déclaration de 1682. Il paraît qu'il n'a pas mal argumenté, car le pauvre soutenant a été obligé de dire que « le droit de décider les questions de justice sociale « ferait partie, sans aucun doute, du pouvoir de l'Église, si « Jésus-Christ n'y avait pas expressément renoncé entre les « mains de Pilate.... »
Écrivez-moi souvent, je vous prie. J'ai plus besoin de vos lettres que vous ne pouvez croire. Vous aurez vu à Gênes le cardinal Macchi. Il se proposait d'y séjourner quelque temps. La vie de Rome ne lui sourit pas, ce qui fait qu'il ne sourit pas à Rome. Paris lui convenait, et il le regrette, c'est tout simple. Il a toujours été fort bien pour moi.