1808-01-10, de Alphonse de Lamartine à Prosper Guichard de Bienassis.

Nihil est ab omni parte beatum.

J'ai reçu hier ta lettre. Je suis au désespoir de l'inquiétude que mon silence t'a donnée. Je t'en ai dit les raisons et je pense avoir obtenu ma grâce. L'ode que tu m'as fait le plaisir de m'envoyer m'a plu infiniment. Tu fais des progrès qui commencent à me faire peur. Je voudrais seulement que tu ne délayasses pas tant les vers latins pour faire les français, surtout dans le commencement de l'ode. Pour les autres vers sur le paysage, ils sont un peu trop longs, il n'en faudrait que deux ou trois. Du reste ils sont bien plus purs et plus soignés qu'à l'ordinaire. Continue et dans un an nous ne serons pas dignes de délier les cordons de les souliers. Je le dis cela franchement et comme je le pense. Je ne fais rien depuis un mois. J'ai été obligé de céder ma chambre à des officiers qui sont ici en très-grand nombre. J'ai été malade et tout cela m'a dérangé beaucoup. Je ne dirai pas comme toi : « tristitiam et metus, » tant s'en faut, mais comme Gilbert :

Au banquet de la vie, infortuné convive.
J'apparus un jour, et je meurs.
Je meurs, et sur la tombe où lentement j'arrive
Viendra-t-on répandre des pleurs?

Cependant il y a quelque temps que je faisais encore le gentil dans le commencement d'une épître à Virieu :

Tandis que d'un léger coton
Mon visage frais se colore,
Que tout sourit à mon aurore,
Et que raisonner en Caton
Chez moi serait risible encore.
De mon espoir, de mes désirs,
Je veux divertir ta paresse,
Et, laissant l'ingrate vieillesse
S'affliger de ses souvenirs.
Une heure ou deux de ma jeunesse,
Parler au moins de mes plaisirs.
Sur une plus courte mesure
Pour toi je vais mouler ces vers
Et laisser mes pensers divers
Courir à huit pieds sans césure.
Vois-tu ce délicat gourmand,
Cherchant quelque mets qu'il préfère,
Promener son oeil inconstant
Autour d'un service brillant,
Incertain du choix qu'il va faire ;
Mille plats exquis tour à tour
Tentent son appétit volage.
Mes amis, voilà mon image :
Le repos, la gloire et l'amour
Voudraient mon âme sans partage.
La raison me dit d'être sage,
Et me montre dans le lointain
Un bonheur qu'elle dit certain ;
Mon coeur prétend que le voyage
Est bien court, et que du bel âge
Les fleurs se flétriront demain.
J'espère, je crains, je balance,
Et, si je penche d'un côté,
Une flatteuse confiance
Tient des rêves de l'espérance
Amuser ma crédulité.
« Vois-tu ces lauriers, me dit-elle,
« Bientôt ta main va les cueillir !
« Tu verras ton front s'embellir
« De cette couronne immortelle
« Que ta déesse va t'offrir, » etc.. etc.

Je les ai laissés là. Qu'en penses-tu franchement? La conscription vient de retarder mon petit voyage de Lyon, je ne le ferai que dans huit jours, après avoir tiré. Écris-moi, à Monsieur Alphonse de Lamartine, chez Mme Vasse Roquemont, rue Saint-Dominique, à Lyon. J'y resterai peut-être quinze jours.

Adieu,

ton meilleur ami,
ALPHONSE DE LAMARTINE.