A la Chenaie le 5 avril 1822.
J'ai reçu votre lettre avec d'autant plus de plaisir, mon excellente amie, que j'étais peiné de votre silence. Je me croyais à peu près oublié de vous et de nos autres amies. Je ne pouvais pas d'ailleurs vous écrire, car je n'avais point votre adresse. C est donc quelque chose de bien étrange que ce n° 541? Je voudrais bien, je vous assure, en juger par mes yeux; mais sérieusement je ne pense pas que ce puisse être encore de si tôt? Trop de raisons me retiennent ici ; mon travail, mes affaires que je voudrais un peu arranger, et qui ont grand besoin de l'être; enfin que sais-je? tout ce qui fait qu'on reste la où l'on est. Et puis vous savez que je n'aime guère Paris. S li ne renfermait pas sept ou huit personnes à qui je suis bien tendrement attaché, je n'y remettrais pas les pieds de ma vie. Si elle dure encore quelques années, cette pauvre vie, j écrirai certainement celle de notre bon l'ère'. Je crois que je pense à lui chaque jour davantage; il m'aime aussi plus que jamais, parce qu'il sait mieux combien je l'aimais lui-même. Quelquefois j'espère qu'il m'obtiendra de le rejoindre bientôt. Je n'ai plus de goût à rien sur la terre; tout mon cœur presque est déjà de l'autre côté du tombeau.
Je vous remercie du soin que vous avez pris de mes effets; un jour cela s'appellera des dépouilles. J'attends mon frère après la Pâque; il doit venir passer quelques jours avec moi. Sa position est toujours fort triste à Saint-Brieuc, où le mal augmente et ne peut qu'augmenter de plus en plus. Je n'ai pas entendu parler de l'abbé Le Tourneur depuis le carême; la cour 1 occupe, je n'en suis pas surpris; c'est une grande fatigue que de prêcher là. Faites-moi le plaisir de me procurer deux bonnes montres d 'or pour Marie-Ange et Lise; point de ces petites breloques larges comme une pièce de 24 s., mais des montres qui marquent l'heure, vous entendez bien. Cor trouvera facilement une occasion de les envoyer à Saint-Malo, bien emballées dans une petite boite. Vous voudrez bien vous rembourser chez lui. Mille choses tendres à vos deux compagnes et au bon M. Carissan. J'embrasse nos deux chères petites. Souvenirs aux domestiques. Adieu, bien chère et bien bonne amie. Quels sont vos projets pour cet été? Priez pour moi qui suis tout à vous.