A la Chenaie le 28 mai 1822.
Je conçois, ma bien bonne amie, tout ce que votre cœur doit éprouver dans ces cruels moments.
Lorsque Dieu nous sépare de ceux qui nous sont chers, il permet à nos larmes de couler, et notre douleur même est le fonds du sacrifice que nous lui offrons et que sa miséricorde accepte. Mais en même temps que la nature gémit, j'espère que la paix de votre âme n'est point troublée, et que vous ressentez même une joie chrétienne en songeant à combien de dangers, de chagrins et de misères est échappée cette pauvre enfant, que le monde aurait bientôt environnée de tous ses pièges; et, au contraire, la voilà maintenant, comme nous avons tout lieu de le croire, à l'abri des maux, des tentations, des vicissitudes de cette triste vie, heureuse par la jouissance des seuls vrais biens, et par l'éternelle possession de Dieu qui les renferme tous. Que de grâces ne devez-vous point à la divine Providence ! Elle a bien fait toutes choses, selon la parole de l'Évangile. Pour nous, qui ne savons presque jamais ce que nous devrions vouloir ni souvent même ce que nous voulons, ayons du moins celle confiance dans notre Père céleste, de croire que ce qu'il veut est toujours ce qu'il y a de plus sage et de meilleur. Adorons en silence ses décrets, adorons-les avec amour, et faisons taire toutes nos pensées quand elles diffèrent des siennes. Après tout on se rejoint bientôt, et je ne sais pas comment nos sentiments si vifs et si divers peuvent trouver place dans iiii instant si rapide.
Prenez soin de votre santé, c'est un devoir. Je vous recommande aussi celles de vos chères compagnes. Au moment où je vous écris, vous avez dû voir l'abbé Le Tourneur. Il vous est très-sincèrement attaché. J'espère le revoir moi-même vers la fin de l'été ; il me l'a presque promis. A cette époque, qui est celle des vacances, mon frère sera plus libre et pour plus longtemps. Donnez-moi de vos nouvelles. Je suis tout à vous bien tendrement et pour jamais. Prions l'un pour l'autre. Quelque distance qui les sépare, les chrétiens se retrouvent au pied de l'autel, et là ils goûtent comme les prémices de l'éternelle réunion.
Encore une fois, tout a vous.