Saint-Brieuc. 12 juillet 1818.
Je reçus hier, mon excellente amie, une lettre du P. Antoine, qui me prévient de la détermination qu'il a prise de ne point accepter votre procuration ; de semblables soins lui paraissent contraires aux règles de son état. Je désire aussi vivement que jamais vous prouver mon dévouement, et je suis prêt à me rendre à Nantes, si vous jugez ce voyage utile à vos intérêts; mais j 'ai lieu d'en douter beaucoup, d'après ce que me marque le P. abbé. Voici ses propres expressions : « M. de Lucinière, « qui est venu me voir ce matin, ne m'a pas dissimulé que si « vous acceptiez cette procuration, quelque respect et estime « qu'il ait pour vous, il serait pourtant obligé de vous mettre « aux prises avec son avocat, ce qui, sous tous les rapports, « ne pourrait guère vous convenir. » Il me semble clair, d'après cela, que M. votre frère verrait d'un mauvais œil que je me mêlasse de vos affaires avec lui, et que ma présence à Lucinière, loin d'être un moyen de conciliation, -deviendrait au contraire comme un commencement de procès, ce qui ne vous répugnerait pas moins qu'à moi. Veuillez communiquer ceci à notre bon Père; j'aurai encore le temps de recevoir votre réponse à Saint-Malo. Peut-être pourriez-vous demander à M. de Lucinière un état détaillé de la succession de M. votre père et de celle de Mmo votre mère, séparément. Ces deux états, qu 'oii ne peut vous refuser, vous aideront à juger de votre position, et pourraient vous offrir le moyen de traiter de Paris même, si M. votre frère veut se prêter à des arrangements raisonnables. J'avoue que j'ai toujours cru et que je crois encore vos affaires très-aisées à régler, pour peu que les intentions que j'e vous connais fussent réciproques ; mais l'espèce d'obscurité qui reste sur ce point vous oblige à beaucoup de ménagements et a une grande prudence. Dans aucun cas on ne peut exiger de vous que vous traitiez à l'aveugle, ni par conséquent se fàcher que vous demandiez des renseignements dont vous avez besoin pour prendre une sage détermination. Je vous écris à la bâte pour ne pas manquer le courrier. J'arrivai hier de la Basse-Bretagne, après un voyage de quatre jours fort intéressant. Lundi, nous partons pour la Chenaie, où nous resterons un peu moins de deux semaines, après quoi je retournerai à Saint-Malo et de là à Rennes, où je me propose d'être vers le 4 ou le 5 d'août. Mille choses respectueuses et tendres à tous nos amis : Mlles de Tremereuc et de Villiers, Mme de Cougnac, Mlle d'Ozonville, MM. de Rumedon, Murinais. Il me tarde bien de me retrouver près de vous tous et de notre excellent Père. Les Feuillantines sont ma pensée habituelle. Mon frère vous offre son respect. Vous connaissez les sentiments qui, dans mon coeur, se joignent pour vous à celui-là ; ils ne changeront jamais. Adieu, mademoiselle et véritable amie. Répondez-moi je vous prie, le plus tôt possible.