1822-04-26, de Félicité de Lamennais à Mademoiselle Cornulier de Lucinière.

Pauvre petite Julie ! et sa pauvre tante ! Que votre lettre, ma bonne amie, me peine profondément! Je voudrais être près de vous, je le voudrais pour tout au monde : il me semble que j 'ai des droits à toutes vos douleurs, et que personne ne peut les partager comme moi. Je suis tourmenté de votre position, je ne puis penser à autre chose. Que de larmes, que d'inquiétudes, que de tristes soins ! Et je ne suis pas là pour vous soutenir, vous aider, vous consoler, en pleurant avec vous, en épanchant dans votre cœur, à toutes, mon pauvre cœur qui vous est si tendrement dévoué ! Dieu ne l'a pas voulu, afin sans doute d être lui seul votre appui dans cette douloureuse circonstance. Jetez-vous donc dans son sein, et ne vous laissez point abattre. Tout passe autour de nous, nous passerons aussi. Adorons les volontés de la divine providence, et fixons constamment nos regards sur notre véritable patrie, sur ce beau ciel où il n'y a plus ni pleurs, ni séparations, ni regrets, -et où nous attendent nos amis qui nous ont précédés. Mon frère part aujourd'hui de Saint-Brieuc pour venir installer des Petits-Frères à Pleudëcher. Il ne pourra donc préparer Mme de Tremereuc à la terrible nouvelle qui la menace. Je pense que Mlle de Tremereuc aura écrit à Tabbé de Lesquen. Prenez garde à la santé de cette chère amie ; elle est calme, mais elle souffre intérieurement. Tâchez de faire que son cœur s'épanche et que ses larmes coulent.

Hélas ! encore une fois, que je voudrais être près de vous ! Je ne suis rien, je ne peux rien, mais ma douleur mêlée à la vôtre l'adoucirait peut-être. Je vous désire, je vous regrette sans cesse. Ma vie était douce près de vous, parce que j'aimais et j'étais aimé; maintenant elle est triste, et plus triste encore depuis que je vous sais malheureuses. Ne voyons en tout cela que la Providence; elle a certainement ses desseins que nous connaîtrons un jour, et que dès à présent nous devons bénir. Je ne saurais douter que c'est elle qui m'a conduit ici et qui m'y retient. Ce que je fais, et que je n'aurais pu faire ailleurs, est d'une grande, d'une très-grande importance pourla Religion. Veillez à vos santés à toutes, et consolez--vous dans le Seigneur. Il vous envoie Mlle Constance pour vous aider à porter cette épreuve nouvelle. Dites-lui mille choses tendres de ma part.. Nos pauvres petits sont toujours pleines du souvenir de vos bontés. Leur attachement pour vous ne s'altérera pas plus que leur reconnaissance. Je ne les vois guère, car je ne vais guère, comme vous le savez, à Saint-Malo. Ecrivez-moi, j'ai besoin de recevoir de vos nouvelles. Un peu de repos sera bien nécessaire à la bonne Mlle de Villiers. Voilà une petite lettre pour Mlle de Tremereuc. Adieu; aimez-moi toujours. Je suis tout à vous du fond de mon cœur.