1810-02-10, de Alphonse de Lamartine à Prosper Guichard de Bienassis.

Je n'ai pas encore de tes nouvelles, mon cher ami, je suis vraiment en peine de toi. Es-tu malade, mort? ou m'oublies-tu, ce qui serait peutêtre encore plus cruel pour moi? Je ne comprends rien à ta conduite, non plus qu'à celle de Virieu. dont je n'entends plus parler depuis deux mois. De grâce, tranquillise-moi ! A quoi me sert d'avoir des amis, s'ils m'abandonnent ainsi, au moment où je pense sans cesse à eux et combien il nous serait doux d'être réunis ! Y a-t-il quelque bon ou mauvais tour là-dessous? Je soupçonne quelque tromperie.

Voilà enfin une partie de mes désirs satisfaits ! je m'instruis, je suis libre, je suis indépendant, mais que dis-je, indépendant! je le suis si fort que j'en deviens ridicule. Je ne peux m'assujettir à rien, pas même à des visites indispensables, à des devoirs de société sans lesquels on est comme excommunié. Mon livre, ma chambre, mon feu et le spectacle ont trop de charmes pour moi. Il n'y a qu'une chose qui me chagrine, c'est quelques petites dettes que j'ai faites étourdiment, que mes parents savent et veulent que je paie surle-champ. Si je les paie, il faudra que je file vers ma détestable patrie, car il me restera peu de chose pour vivre ici. Comment sortir de là? Ma foi! je n'en sais rien et suis extrêmement embarrassé. J'aurai au moins vécu deux mois heureux ou à peu près. Donne-moi des conseils, mon cher ami : faut-il emprunter pour payer? faut-il me réduire à ne guère sortir de ma cellule, à cesser tous mes abonnements de spectacles, etc.? Parle comme pour toi.

Je n'ai pas le temps de faire un vers. C'est cruel, mais j'amasse pour l'été comme la fourmi. Et toi, morbleu! que fais-tu donc? Parle donc! Je m'arrête, car je ne sais si tu recevras ma lettre ou si tu daigneras me répondre.

ALPHONSE L.

L'adresse de Virieu, si tu l'as.