182.-..-.., de  Delacroix, Eugène à  Pron, Louise Rossignol de, dite Sarah, née du Bois des Cours de La Maisonfort.

Je rentre le cœur tout bouleversé1. Quelle bonne soirée ! Mais quelle cruelle soirée si c’est le commencement d’un tourment que j’ai appris à redouter. Je me flatte quelquefois qu’il peut se rencontrer dans la vie des cas de passion qui ne sont pas en même temps un supplice : faudra-t-il toujours payer le bonheur par un lendemain amer et souvent par une longue suite de chagrins ? Cependant l’imagination écarte les tristes pensées : quel est l’avenir si obscur qu’une main pressée, qu’un regard seulement n’efface pas à nos yeux. Regardez-moi, ô Julie 2, avec les yeux si tendres : rassurez-moi bien contre les fantômes que mes souvenirs passés amassent autour de moi. Quelquefois je me dis : « Pourquoi l’ai-je revue ? » Dans la paisible retraite où je vivais, même au milieu des liens insipides que je m’étais formés, que j’avais cherché avec ardeur pour oublier et pour fuir, quand son image traversait ma pensée, je parvenais à faire taire mon cœur. Je ne sentais plus la violence de mes premiers transports. Je fuyais et je pouvais fuir les occasions de vous revoir, enchanteresse charmante, j’avais cette cruelle force-là. Je me suis figuré quelquefois que vous étiez heureuse. Vous étiez au moins calme, n’est-ce pas ? C’est quelque chose dans la vie, mais ce n’est rien quand on a entrevu le bonheur, même dans un avenir lointain. Je me dis aussi qu’autrefois cette passion eût été plus douce. J’ai conçu à présent une effroyable idée que je n’avais pas alors : faut-il vous le dire encore ? Je crains que vous ne puissiez pas aimer parfaitement. Il s’est fait dans vos sentiments une lacune qui vous a été fatale. Votre cœur qui était peut-être plus naïf, s’est endormi dans l’insipidité et à présent il a perdu la vivacité et la fraîcheur de l’entraînement. Est-ce que vous trouvez cette idée affreuse ? Tenez, en vous le disant, non, je ne veux pas y croire et d’ailleurs comment pourriez-vous me détromper ? Ce ne serait que par une longue épreuve. Oh l’esprit ! Je le déteste, s’il sert à flétrir l’âme et à la dessécher. Dis-moi que non, amour. Dis le moi de toutes les manières, trompe-moi si tu veux, je te croirai, je veux tant te croire et j’en ai si besoin. Mais quelle folie ! quel roman que notre vie et que nos cœurs [. . .]

Adieu amour, as-tu le cœur d’autrefois ? Dis’.