Mâcon, 24 mai 1810.
Heu! Posthume! Posthume!
Oh sus ! mon cher ami, expliquons-nous : romprons-nous ? ne romprons-nous pas? Mais je ne veux plus de cette demi-amitié, de cette amitié de salons. Une lettre depuis six mois! ! ! Ah certes ! voilà la place de points d'admiration, d'étonnement, d'indignation. Je t'ai excusé longtemps, mais je ne peux plus cependant me refuser à l'évividence. Tu nous négliges, tu nous abandonnes, tu trahis tes engagements les plus sacrés. Il faut à la fin que cette incertitude où nous nous trouvons ait un terme, et que tu sois pour ou contre. Guichard en est indigné comme moi, et nous ne savons réellement que penser. Parle donc, morbleu ! parle donc !
J'arrive de Lyon. Me voilà rentré dans mon trou, faisant le contraire de la fourmi, amassant l'été pour manger l'hiver, mais que dis-je ! pour manger? Pour m'instruire, pour me former, pour suivre de mon mieux nos plans, hélas! si incertains. Que la vie me semble une rude chose et que je la donnerais volontiers pour une once de gloire ou une heure de bonheur, et peut-être même pour rien! Je perds, en perdant ton amitié, tes lettres, tes conseils, nos rêves, nos espérances communes, tout ce qui en faisait le charme. Il ne me reste que mes livres anglais, ma plume que rien ne stimule, mon imagination qui me tourmente, et la douce idée d'avoir eu des amis.
Adieu, réponds-moi clairement et promptement. Tu vois que je me fâche.
Ton éternel et plus tendre ami,ALPH. DE LAMARTINE.