[p. 1] Ce mercredi 1
Mon pauvre ami,
j’ai reçu hier votre bonne lettre, et je sens bien le chagrin que vous avez éprouvé de la perte de votre vieille amie 2. Celle de ma pauvre mère, était le dernier lien qui formait la chaîne d’anciens souvenirs si doux et si cruels en même temps3 ! Cette séparation a été bien horrible pour moi, je suis si triste, si isolée dans cette grande maison ! Je ne forme aucun projet, je suis hébétée par le chagrin ! Je n’ai pas besoin de vous [p. 2] exprimer, cher ami, combien je suis toujours sensible aux preuves d’affection que vous me donnerez ; car nous sommes amis de bien vieille date et notre tendresse sera pour toute ma vie un souvenir bien doux à me rappeler ! Je serai donc heureuse de vous revoir et surtout de vous savoir en bonne santé : c’est un bien fragile, hélas ! Soignez-vous et ne négligez aucune petite indisposition. Quant à moi, je me porte bien, mais je voyagerai un peu cet été, car j’ai grand besoin d’air [p. 3] et de mouvement4. Eugène est encore ici, et va bientôt partir pour les eaux, ses rhumatismes en ont grand besoin. Notre pauvre malade est entré dans une autre phase, celle de l’agitation, je ne puis le voir dans ce moment-ci : voilà un sujet de chagrin continuel5 ! Au reste, mon pauvre ami, je n’ai pas été épargnée, et la tendresse de mes amis m’est bien nécessaire pour soutenir mon courage.
Le temps est très beau depuis quelques jours et pas accablant, vous devez en jouir avec bonheur.
Adieu, cher et bon ami, je vous embrasse de cœur en attendant le moment de vous revoir.
Baronne de Forget