1843-07-19, de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.
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Que devenez-vous donc, mon ami ? Ou vous êtes malade, ou vous êtes tellement absorbé par les plaisirs de la campagne 1 que vous oubliez qu’il existe un Paris, et des amis qui se plaignent de votre silence. Qu’avez-vous donc à faire ? Si ce n’est de penser quelquefois à eux et de leur donner de vos nouvelles ; si ce n’était cette idée-là, qui domine toutes les autres, et qui m’inquiète sur votre santé, je vous laisserais tranquille encore aujourd’hui, mais je vous avoue que je commence à être inquiète ; j’ai reçu votre dernière lettre de Vichy, écrite le 72, le lundi 10, j’y ai répondu à La Châtre le mercredi suivant3, ce qui fait aujourd’hui huit jours, et pas encore de réponse ! C’était à vous à m’écrire, car en voyage il peut arriver des accidents, vous pouvez être malade avec votre faible santé, au lieu que moi, qui ne bouge pas plus qu’une borne, je ne cours aucun danger.

Il y a peu de nouvelles dans notre Paris ; après un assez vilain temps, nous avons eu une grande chaleur pendant trois jours, et depuis ce matin, il pleut à verse.

Les bons Vieillard p.2 vont partir dans peu de jours pour la campagne, ils se plaignent (sans rancune) de ne vous avoir pas vu avant votre départ, et de n’avoir pas reçu de vos nouvelles depuis : vous feriez donc bien, si vos nombreuses occupations vous le permettent, d’écrire une de vos lettres, si aimable, si spirituelle à M. Vieillard, qui serait touché de votre souvenir.

Quant à moi, ami, je ne m’explique pas ce long silence de votre part, il m’afflige, il m’inquiète, et je ne sais qu’en penser !

Je suis contente pour vous de vous savoir à la campagne, bien soigné, bien dorloté, bien gâté ; restez-y le plus que vous pourrez si vous vous y plaisez, mais un mot, de grâce. Avez-vous reçu des nouvelles de votre frère 4 ?

Notre malade va un peu mieux5, elle commence à sortir. Nous avons été à Franconi 6, voilà notre seul plaisir ! Elle vous envoie mille compliments affectueux, et moi, mon ami, je vous envoie un million de tendresses, sans rancune, mais non sans chagrin de votre indifférence.

Tout à vous

Joséphine

La session de la Chambre des pairs n’est pas encore terminée.

Mes enfants sont toujours en Auvergne, Émilien va beaucoup mieux.