1843-07-11, de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.

p. 1 Je pense, mon ami, que vous voilà bien établi, bien installé, et que vous êtes arrivé chez Mme Sand 1 sans trop de mésaventures. Je suis impatiente de recevoir des nouvelles de votre nouvelle installation. Votre frère est-il resté à Vichy 2 ? Nous avons un temps assez maussade depuis quelques jours, mais à la campagne, on peut toujours se promener, et admirer la belle nature. Vous ne me parlez pas trop en détail de votre santé, j’espère que votre cri-cri se tient en repos, et qu’il vous laissera tranquille, pour continuer vos travaux3. La Chambre des députés est terminée, mais pas encore celle des Pairs 4. Les Vieillard , que j’ai vus hier, se portent assez bien, et la semaine prochaine, partiront pour leur petite campagne à Saint-Priest. Les Méneval sont à Paris et ne parlent pas encore de retourner à la campagne ce qui me fait grand plaisir car l’été tout le monde se sauve. Notre chère malade p. 2 est bien sensible à votre bon souvenir, elle vous envoie mille amitiés ; elle sort un peu mais elle souffre encore souvent, et je crains que cette maladie ne soit bien longue5 ! Nous passons notre temps d’une manière assez maussade ; au reste, j’en ai pris mon parti, je suis habituée à m’ennuyer moralement, car vous savez que je m’occupe sans cesse ; mais je sens bien que vous n’êtes pas ici, ami, et ma tristesse habituelle s’en augmente bien davantage. Cependant, je ne suis pas assez égoïste pour vous désirer auprès de moi, lorsque vous pouvez vous reposer, et vous distraire auprès de bons amis , profitez-en le plus que vous pourrez, et surtout revenez-nous bien portant, engraissé et en bon état ; je n’ai pas besoin de vous répéter, ami, combien je serai heureuse de vous revoir, il y aura de la sympathie entre nous. Parlez-moi de votre séjour, de vos hôtes , que j’aime parce que vous les aimez ; je voudrais être cachée quelques fois dans les bosquets de La Châtre, et pouvoir nous promener ensemble… puisque ce beau projet ne pourra se réaliser, il faudra nous contenter de la promenade de nos Champs-Élysées, ce qui est beaucoup moins poétique.

p. 3 On m’a renvoyé il y a quelques jours, les quatre volumes de Consuelo 6, j’ai fait courir après le commissionnaire qui était déjà parti, pour lui remettre les autres volumes ; veuillez me donner l’adresse pour que je les renvoie, ce qui fera plaisir à cette personne d’en avoir la suite.

Mes enfants sont toujours en Auvergne, et Émilien n’est pas encore guéri de son agréable petite maladie… Adieu donc, bon et cher ami, je n’ai aucune nouvelle à vous donner que vous ne sachiez dans vos journaux. Je ne vais pas au spectacle, cependant hier je me suis permis Franconi 7, avec M. et Mme Vieillard  ; je dois dîner chez eux mercredi prochain : vous voyez que mes plaisirs sont peu émotionnants. Avez-vous mis votre gilet ? Et votre lumbago, comment va-t-il ? Je vous envoie des millions de tendresses en attendant le bonheur de vous revoir.

Tout à vous

Joséphine