1843-07-21, de  Delacroix, Eugène à  Pierret, Jean-Baptiste.
[p. 1] Monsieur Pierret
Rue Tronchet n° 13, Paris
La Châtre, 23 juillet [illisible]

Cher ami,

Je voulais t’écrire de Vichy, où j’ai passé quelques temps avec mon frère, mais ne l’ayant pu avant mon départ, je comptais le faire à mon arrivée ici, où je ne comptais pas séjourner si longtemps. Mais voici ce qui m’y a retenu plus que je ne pensais et ce qui m’a troublé dans toutes mes autres résolutions. Quand j’ai quitté mon frère, il était un peu indisposé. J’hésitai même à me séparer de lui ; mais il avait été déjà assez difficile d’arranger mon voyage avec les diligences, dont les communications ne sont pas très faciles, et je partis. Je comptais donc avoir de ses nouvelles en arrivant ici. J’ai d’abord fait un voyage inouï pour sa durée, obligé de séjourner et de coucher dans de [p. 3] petites villes où j’ai passé des journées entières à attendre des voitures. Notre belle patrie a beaucoup à faire, comme tu vois, pour arriver à la commodité des communications. Enfin, j’arrivai ici et n’y trouvai pas de nouvelles de mon frère. Je ne fus pas d’abord très inquiet, pensant que, comme il n’est pas plus écrivain que moi (c’est un vice de famille), il n’avait pas écrit parce qu’il n’avait rien de neuf à me mander. Enfin, ce silence se prolongeant, j’écrivis à lui, à son médecin et à une autre personne encore à Vichy pour savoir s’il lui était arrivé quelque chose, et mon inquiétude était telle que je me préparais déjà à recommencer le voyage pour retourner à Vichy, dans le cas où il serait tout à fait souffrant. Enfin je reçus une lettre de lui. Il avait eu effectivement une inflammation d’estomac, mais il était [p. 4] tout à fait bien. Cela m’a ôté ma tristesse qui gâtait beaucoup, je t’assure, tout le plaisir que j’aurais pu avoir à me trouver ici. Je comptais auparavant partir le 20, mais après cette nouvelle qui me rassurait et pressé quelque peu par les instances de mes hôtes, j’ai retardé de quelques jours et maintenant ma place est demandée à la voiture pour un de ces jours prochains.

Voilà ma vie depuis que je ne t’ai vu. Villot, à qui j’avais écrit de Vichy, t’aura vu sans doute et te l’aura dit. Je ne pense pas pouvoir lui répondre, si tu le vois dis-le lui ; mais je vous verrai bientôt je pense.

J’espère que tu vas bien ainsi que tous les tiens. Je suis persécuté par le mauvais temps ; cela a beaucoup nui à mon plaisir et surtout ces jours d’inquiétude que j’ai passés, et pendant lesquels je ne jouissais véritablement de rien.

J’ai donc impatience de me retrouver à Paris, de t’y voir ainsi que Riesener, que tu embrasseras pour moi si tu le vois, et à qui je n’ai pas écrit non plus.

Reçois donc mille tendresses en attendant le plaisir de te voir.

Eug. Delacroix